Les fruitiers rares
 
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Article publié en 2004.
Première publication : 1924.
Auteur : Auguste CHEVALIER.

 

 

Dattiers à fruits comestibles cultivés sur la Côte d'Azur

 

 

 

Auguste Chevalier (1873-1956) fut professeur au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris. Il dirigea la publication de la Revue de Botanique Appliquée et d'Agriculture Coloniale, et rédigea une Flore des Iles Du Cap Vert. Dans cette revue sont parus de nombreux articles d'un grand intérêt, notamment sur les plantes acclimatables à fruits comestibles. C'est l'un d'entre eux, publié en 1924 et d'un contenu exceptionnel, que nous vous proposons in extenso. L'auteur y passe en revue, sous l'angle de la comestibilité des fruits et de leur possibilité d'obtention sur le littoral de la Provence et de la Côte d'Azur, les principales espèces cultivées de Phoenix (Phoenix dactylifera, Phoenix Jubae, Phoenix intermedia). Il décrit également les individus remarquables recensés à son époque (Phoenix dactylifera var. Mariposae, Phoenix Jubae var. edulis).

 

 

INTRODUCTION

 

Suivant l'opinion de A. de Candolle, l'aire naturelle de culture du Dattier (celle où il a existé probablement il y a quelques millénaires à l'état spontané à l'époque où le Sahara avait un climat différent de celui qu'il possède aujourd'hui) est constituée par « la zone sèche et chaude qui s'étend du Sénégal au bassin de l'Indus, principalement entre les quinzième et trentième degrés de latitude ». La flora of Tropical Africa indique le Phoenix dactylifera au Nyassaland, et sur le Kilimandjaro jusqu'à 2000 m d'altitude. Il s'agit vraisemblablement d'une autre espèce, peut-être du P. abyssinica Drude. Dans cette zone, il n'existe du reste qu'en des îlots très éloignés les uns des autres formant tantôt des oasis, tantôt des jardins irrigués situés toujours sous des climats très secs. Il a été introduit depuis un siècle ou deux en d'autres régions désertiques (Afrique du Sud, sud des Etats-Unis, Mexique) où sa culture est également prospère.

En Afrique, au-delà de la zone saharienne, au sud comme au nord, le Dattier peut encore vivre et mûrir ses fruits. Mais, ordinairement, ceux-ci, s'ils proviennent des régions non désertiques, ne sont pas savoureux ; souvent c'est à peine s'ils sont mangeables. Au cœur de l'Afrique, comme dans l'ouest africain, j'ai encore rencontré de rares pieds de dattiers dans les villages de la zone soudanaise et même dans quelques grands centres de la zone guinéenne : Tchecna, Bornou, Mossi (Ouagadougou), nord du Dahomey, Bobo-Dioulasso, Sikasso, Kouroussa, Timbo... Mais dans toutes ces localités, le Dattier est regardé plutôt comme une plante fétiche ou un palmier sacré que comme un végétal utile. Les fruits nouent rarement, et quand ils mûrissent ils n'ont qu'une pulpe mince et sèche, à peine comestible. Ce n'est qu'aux environs de Podor, de Kayes (Afrique occidentale), et dans les oasis de Kanem par 13° de latitude dans le territoire du Tchad que j'ai trouvé des dattes mangeables ; et encore, elles étaient peu savoureuses. Il en est de même au nord de l'Afrique : le Dattier ne s'y rencontre plus que d'une manière exceptionnelle au-delà de l'Atlas, et il y donne rarement des dattes de valeur.

Cependant divers Phoenix peuvent encore vivre et même fructifier au-delà de la Méditerranée, mais il est rare qu'ils donnent en Europe des fruits estimés. Il faut cependant en excepter les palmeraies de l'oasis d'Elche (Espagne) au sud de la province de Valence, par environ 38° de latitude. On sait que c'est cette localité qui fournit à Rome les palmes destinées à la Fête des Rameaux. Les dattes de cette localité sont également renommées. En France, sur le littoral de la Provence et surtout du Comté de Nice, les dattiers mûrissant leurs fruits ne sont pas rares. Mais ils sont cultivés exclusivement comme palmiers d'ornement et les dattes produites sont ordinairement à peine mangeables. Nous passerons en revue les principales espèces et races cultivées dans le Midi de la France.

 

PHOENIX DACTYLIFERA L.

 

On rattache à cette espèce les formes très nombreuses cultivées dans le Sahara ainsi qu'en Asie S. W.  Lorsque Beccari écrivit sa belle monographie des Dattiers (Revista monografica delle specie del genera Phoenix, in Malesia, III, 1886-1890, pp. 345-416), on ne connaissait encore d'une manière précise qu'une dizaine de variétés appartenant à cette espèce. Depuis cette date, des centaines de formes cultivées, les unes en Algérie ou Tunisie, les autres en Egypte ou en Mésopotamie, ont été décrites. On sait que ces variétés ne sont pas fixées : multipliées par la graine, elles dégénèrent.

Selon Trabut, il faudrait rechercher pour chaque pied femelle la forme mâle de cette même variété et en opérant la fécondation avec son pollen on aurait une descendance uniforme semblable aux parents. Le plus souvent, les Arabes multiplient les bonnes sortes de Dattier à l'aide de drageons (ou djebars) qui reproduisent exactement la variété. Mais ces djebars n'apparaissent que sur des palmiers jeunes. A partir d'un certain âge, le dattier ne donne plus de rejets à la base. En dehors des oasis de grande culture, notamment en Europe et au Soudan, c'est au contraire par graines que le dattier est multiplié. Aussi n'y connaît-on pas de bonnes variétés à fruits.

Sur la Côte d'Azur par exemple, on sème des noyaux de dattes du commerce (ordinairement celles du P. Jubae) dans le but d'obtenir des dattiers d'ornement. De là de nombreuses variations. Aussi les palmiers appartenant à cette espèce ou à P. dactylifera, qu'on observe çà et là sur la Côte d'Azur (à Menton, à Nice, à Hyères, etc.), dans les jardins et les avenues, présentent-ils un remarquable polymorphisme dans le port et les caractères des feuilles, des inflorescences, des fruits. Les palmiers de l'espèce dactylifera ne donnent sur la Côte d'Azur des dattes qu'exceptionnellement. Et, suivant Chabaud (Les palmiers de la Côte d'Azur, 1913, p.147), elles ne mûrissent que les années où la chaleur est extrême pendant l'été et où l'hiver est tempéré. En outre, ainsi que je l'ai constaté à plusieurs reprises à Menton, le mésocarpe est très réduit autour du noyau, et le fruit n'est pas mangeable. Ces palmiers sont en quelque sorte des sauvageons analogues à ceux qui s'ensemencent d'eux-mêmes dans certaines oasis abandonnées, ou dans quelques villages du nord du Soudan.

On a signalé de rares individus de cette espèce, à Cannes et à Beaulieu, donnant des dattes que l'on pouvait manger, mais sans saveur. Toutefois, MM. Coutagne et Couderc nous ont signalé qu'ils avaient vu à Ollioules, près de Toulon, un dattier ordinaire produisant de très bonnes dattes jaunes sans noyau, d'un goût exquis, bien sucrées et de dimensions normales ; elles mûrissent en août. Ce palmier est encore vivant, mais il est très âgé et il a cessé de produire des djebars. Les dattiers donnant des fruits comestibles mais peu charnus seraient sans doute améliorables, et l'on pourrait par semis et sélection « arriver à créer des races de valeur adaptées au climat méditerranéen, tel qu'il en existe en quelques points de l'Afrique du Nord où la chaleur estivale n'est pas plus grande qu'à Nice et où l'hiver est même plus dur » (Robertson-Proschowsky - Fruitiers exotiques sur la Côte d'Azur, Petite revue Agric. et Hort. Antibes. 1912-1913 et tiré à part, page 12).

 

PHOENIX DACTYLIFERA L. VAR. MARIPOSAE (SAUVAIGO) COMB. NOV.

 

Ce dattier bien connu sous le nom de Dattier à fruits noirs de Nice, et dont il n'existe qu'un seul exemplaire authentique, a donné lieu depuis 1892, date de la première observation, à la publication de nombreuses notes. Ce n'est pas, comme le pensait Naudin, une espèce particulière caractérisée par ses fruits noirs, mais une simple variété du Dattier commun. On sait aujourd'hui qu'il existe, même dans le Sahara, plusieurs variétés de Dattier à fruits noirs très bons, en particulier la variété Tozeur Zaïd Safra du Djerid, décrite par Thomas Kearney (Date varieties and date culture in Tunis, Washington, 1906). Donnons d'abord la synonymie de la forme niçoise : P. Mariposae E. Sauvaigo. Sur un dattier de Nice à fruits comestibles, Bull. Soc. Agric. Alpes Marit., année 1891, (1892) = P. melanocarpa Naudin, Le Dattier à fruits noirs, Revue Horticole, 65ème année, 1893, p. 563 ; Sauvaigo : Les Phoenix cultivés dans les jardins de Nice, Rev. Hort., 66ème année, 1894, pp. 493-499 (avec trois figures). Sauvaigo adopta le nom donné par Naudin ; c'est également le nom melanocarpa qui est cité dans l'Index kewensis.

Les fruits très nombreux sur des régimes pendants sont oblongs-obtus, plus ou moins ovoïdes, plus renflés et moins longs que la datte deglet-nour qui est aussi une date molle (L. Dru). Ils sont d'abord jaunes, puis rougeâtres et passent au noir-luisant à maturité ; ils égalent en longueur 30 mm à 40 mm et en largeur 20 à 33 mm. La pulpe est à chair ferme, très sucrée, légèrement parfumée, épaisse de 6 à 10 mm, rappelant celle des dattes africaines. La peau mince, complètement noire à maturité se détache facilement de la pulpe ; elle n'est pas comestible et doit être enlevée (Sauvaigo). Les fruits cueillis au palmier et mangés tout de suite sont très bons. Consommés quelques jours après la cueillette, ils sont un peu astringents ; cela tient à ce que la pulpe étant moins sucrée et plus aqueuse que chez les dattes ordinaires, un arrière-goût amer se développe par fermentation. C'est pourquoi Dru recommande de cueillir les dattes sur le palmier au fur et à mesure qu'on les mange. Suivant Maxime Cornu, en faisant macérer les dattes quelque temps dans l'eau douce ou salée on leur enlève leur astringence, ainsi du reste qu'à toutes les dattes un peu amères : le tanin s'échappe tandis que le sucre demeure dans le parenchyme.

De nombreux renseignements ont été publiés depuis trente ans sur le Dattier de Nice. Nous résumons ici les plus importants. Ce palmier fut signalé pour la première fois en 1892 par le Dr E. Sauvaigo, qui l'observa dans le jardin de la « villa Mariposa » appartenant alors au chevalier Henri de Cessole, dans le quartier La Montéga, non loin de la gare de Nice. On peut toujours l'y observer. Il avait été planté en 1882. On pense qu'il avait été acheté déjà âgé de dix ou douze ans avec un lot d'autres palmiers chez un horticulteur de San-Remo ou de Bordighera, mais on ne connaît pas la provenance des graines. Naudin suppose qu'il vient peut-être de Laghouat, mais au fond il n'en sait rien. On a aussi émis l'hypothèse que c'était peut-être un hybride de dactylifera et de canariensis. Mais en 1872, date vers laquelle il fut semé, le canariensis n'était pas encore cultivé en Europe.

Déjà, en 1893, il ne donnait plus de djebars et il avait au moins vingt ans. Dès 1892, date à laquelle on observe pour la première fois sa fructification, il se fit remarquer par ses dattes noires très bonnes, mûrissant de très bonne heure (en mai). Naudin l'a décrit ainsi en 1893 (à cette époque c'était déjà un arbre ; il donnait chaque année une dizaine de volumineux régimes) : « Par la glaucescence de ses palmes, la configuration de ses régimes et la forme de ses fruits, il rappelle tout à fait le Dattier proprement dit, mais par le notable élargissement de la base de ses pétioles à leur intersection sur le tronc, il semble avoir une certaine parenté avec le Phoenix des Canaries ». Enfin, par sa précocité il se rapproche de certaines variétés d'Algérie comme les Es-Sifia. En 1894, L. Dru fit connaître que la floraison se faisait au printemps, et la maturation des fruits de fin mai au début d'août de l'année suivante. La récolte 1892-93 donna environ 50 kg de dattes fort bonnes (Léon Dru - Les Palmiers Dattiers. Bull. Soc. Nation. Agric. France, t. LIV. 1804. pp. 279-284), et Suivi d'observations par H. de Vilmorin et M. Cornu, pp. 284-286.

C'est à partir de 1894 que M. de Cessole commença à pratiquer la fécondation artificielle. Cette fécondation peut se faire en secouant des régimes mâles soit de dactylifera, soit de canariensis, sur les régimes femelles épanouis. Même sans fécondation artificielle, les dattes mûrissent et ont une pulpe comestible ainsi que des noyaux bien constitués. Toutefois, bien qu'on ait ensemencé plusieurs fois de ces graines depuis 1893, nous n'avons pu savoir, dans le cas où il serait sorti de nouveaux plants, ce qu'ils sont devenus. On sait (H. de Vilmorin, 1894) que les noyaux de datte, même quand les palmiers n'ont pas été fécondés artificiellement, germent parfaitement. « Si le fruit n'atteint pas sur le littoral méditerranéen la maturité gastronomique, celle qui le rend bon à manger, il atteint bien la maturité physiologique, celle qui le rend capable de germer et de se reproduire ».  Si le fait est exact, et s'il n'y a pas fécondation croisée mais développement parthénocarpique de la graine, celle-ci devrait reproduire des individus exactement semblables à la plante-mère. Ce serait un moyen de multiplier cette précieuse variété déjà adaptée au climat de la Côte d'Azur.

Tous ceux qui ont dégusté les dattes noires de Nice à l'état frais les ont trouvées excellentes. On doit à Aimé Girard une étude chimique de ces dattes. Il a établi que contrairement aux dattes ordinaires d'Algérie elles contiennent du lévulose en quantité (31,08 % du poids de la pulpe) et non du saccharose, ni d'autres sucres comestibles (A. Girard - Sur la composition des fruits de Phoenix melanocarpa, C. R. Acad. Sciences, t. CXXIII. 9 nov. 1896.). Pour cette raison que c'est une datte à lévulose, la saveur de la pulpe est douce et moins sucrée que dans les dattes à saccharose ; l'absence d'acides et de tanins accentue encore ce caractère de douceur. Ainsi, ajoute Girard, « la pulpe tendre, quoique bien tenue, riche en pectine, fond pour ainsi dire dans la bouche et l'essence si fine de la datte lui communique un parfum délicat ».

Le dattier de la propriété de Cessole, bien qu'âgé aujourd'hui d'environ cinquante ans, est encore en pleine production. En juin 1916, en compagnie d'un collègue de la Société Botanique de France, M. Arbost, j'ai pu, y étant aimablement autorisé par M. le chevalier de Cessole, cueillir moi-même à l'arbre des dattes de ce précieux palmier, parvenues à maturité ; dégustées ainsi sur place, ou même quelques jours après, elles étaient exquises. Cette année là, le dattier portait environ 80 kg de fruits. La partie de la récolte que n'utilisait pas le propriétaire était vendue à un marchand de fruits exotiques de Nice et servie dans quelques restaurants. En 1923, j'ai demandé à M. Victor de Cessole des renseignements complémentaires sur le dattier de son jardin. Il n'a pas souffert des gelées de décembre 1920. Il est du reste assez bien abrité, quoique placé sur une terrasse exposée au soleil toute la journée. Le tronc mesure actuellement 4,50 m de haut (non compris la tête) et 0, 40 m de diamètre. La fécondation a lieu vers le mois d'avril. Les dattes ont déjà pris leur développement quand arrive l'hiver, et elles mûrissent l'année suivante de juin à septembre. La récolte moyenne varie de 60 à 80 kg. M. de Cessole m'informe aussi qu'il possède un autre petit palmier issu du premier.

Je crois utile de compléter cette note par les renseignements suivants que m'envoie M. Trabut : «Je connais le Dattier de Nice ; c'est une simple variété de dactylifera dont les fruits mûrissent - comme les dattes d'Elche - par un processus analogue à celui qui mûrit les sorbes et les nèfles. Naudin m'a envoyé autrefois des noyaux de son melanocarpa. J'en ai obtenu un beau sujet qui est un vrai dactylifera. Toutes les dattes qui viennent en dehors du Sahara sont plus ou moins sucrées, mais il reste du tanin (Le Dattier de Nice n'a pas de tanin dans la pulpe de ses fruits mûrs et frais. Aimé Girard). En insolubilisant ce tanin, ces dattes sont comestibles. On peut insolubiliser par des anesthésiques : éthers, acide acétique, etc. Il est probable que dans le dattier de M. de Cessole, les fruits sont pourvus d'un ferment qui insolubilise le tanin. Les dattiers du littoral algérien ne mûrissent qu'au printemps, mais très relativement ; c'est une maturation retardée par les froids de l'hiver. Ces dattes traitées par les vapeurs de vinaigre deviennent noires et sont comestibles. Un espagnol d'Orléansville en préparait ainsi et il les vendait très bien. Il négligeait la fécondation et obtenait des dattes sans noyau.»

A Elche, le dattier n'est multiplié que par semis, jamais on ne plante de rejetons. C'est dire que les variétés sont très nombreuses ; toutes donnent des fruits qui, par la maturation artificielle, sont rendus comestibles et la production en est très considérable. En introduisant des jeunes plantes de l'oasis d'Elche, on pourrait sans doute produire des dattes dans les jardins les mieux exposés de la côte des Alpes-Maritimes, spécialement entre Nice et Menton.

 

PHOENIX JUBAE (WEBB. ET BERTH.) CHRIST

 

Ce palmier, aujourd'hui connu sous le nom de Palmier des Canaries, est abondamment cultivé depuis une trentaine d'années sur le littoral méditerranéen, en France, en Espagne, en Italie, etc. et sur le littoral de l'Atlantique, depuis le Portugal jusqu'à Brest.  Ses dattes mûrissent parfaitement dans le midi de la France, mais la pulpe sèche et mince n'est pour ainsi dire pas comestible. Toutefois, il pourrait être amélioré et c'est la raison pour laquelle nous le signalons. En voici la synonymie : Phoenix dactylifera var. ß Jubae Webb et Berthelot. Phytogr. Canar. III, p. 289 = P. Jubae Christ in Engler's Bot. Jahrb. IX, 1887, p. 170 = P. canariensis Wildpredt in B. Chabaud, Provence agricole et horticole, n° 19, octobre 1882, p. 293 et fig. 66-68 ; Naudin : Le grand Palmier des Canaries, Rev. Hort., 1885, pp. 541-42 ; E. André : Le Dattier des Canaries, Rev. Hortic., 1888, pp. 180-181 = P. Vigieri Hort. = P. reclinata Hort. Kew (non Jacq.).

Cette espèce se différencie du dattier commun par un tronc massif et très renflé, des grandes palmes dressées, vertes et non glauques. A maturité les fruits sont petits, de la taille d'une noisette, d'un jaune pâle, à pulpe très mince. Enfin, suivant Beccari, la corolle dépasse à peine le calice ; elle est deux fois plus longue dans P. dactylifera. Les deux espèces sont donc bien distinctes, et l'on s'étonne qu'elles aient été si longtemps confondues. La seconde constitue au moins un jordanon par rapport à la première. Décrite d'abord par Webb et Berthelot comme variété du P. dactylifera et indigène aux Canaries, elle y fut retrouvée vers 1885 par Christ et Bolle. Selon ces naturalistes, elle est cultivée et spontanée aux Canaries, notamment dans la région rocheuse et inculte de la Caldera de Palma. Pitard l'indique comme très commune dans toutes les îles de l'archipel canarien, sauf à Graciosa et à Alegranza. A Las Palmas, je l'ai vue plantée en avenues, concurremment avec de vrais dattiers à fruits à peine comestibles.

Les premiers plants apportés sur la Côte d'Azur venaient des établissements Linden à Gand. Ils furent plantés dans les jardins de la Villa Vigier à Nice, en 1864. Quelques années plus tard, Wildpredt, directeur du jardin d'acclimatation d'Orotava, expédia en Europe des quantités de graines de cette espèce qui permirent de la multiplier sur tout le littoral méditerranéen. Mais ce n'est qu'en 1882 qu'elle fut décrite de nouveau par B. Chabaud, alors directeur du jardin botanique de Saint-Mandrier, près de Toulon. A l'heure actuelle, ce magnifique palmier constitue le principal ornement des jardins de la Côte d'Azur et il contribue, plus que tout autre végétal, à donner à la flore acclimatée dans ce pays un aspect tropical. C'est un des palmiers qui supportent les froids les plus bas. Sur le littoral de Provence, il a presque partout résisté aux gelées de décembre 1920, au cours desquelles le thermomètre descendit au-dessous de -8° en plusieurs points de la côte (Le P. canariensis, comme du reste P. reclinata et quelques autres espèces très rares dans les jardins de la Côte d'Azur, ont souffert très peu de la grande gelée de 1920. Leur fructification a été normale ou même plus abondante en 1921. Robertson-Proschowsky).

Avant la guerre, la région de Hyères vendait chaque année 362.500 jeunes Phoenix de cette espèce, pour l'ornementation des jardins ou des appartements (Foussat, cité par C. Gatin. Les Palmiers, 1912).  Le P. Jubae n'est pas resté localisé sur le littoral. Il peut vivre en plein air toute l'année dans les jardins abrités de tout le domaine de l'olivier, et à proximité des côtes de l'Océan et de la Manche réchauffés par le gulf-stream ; il supporte aussi les hivers en pleine terre. Nous en avons vu en 1923 de beaux exemplaires à Roscoff ( Finistère), où ils fleurissent, mais ils n'y mûrissent pas leurs graines. A Cherbourg, quelques beaux individus existent également en pleine terre, en particulier au Parc Liais et ils y passent les hivers sans abri.

 

PHOENIX JUBAE VAR. EDULIS (ROBERTSON-PROSCHOWSKY) COMB. NOV.

 

Parmi les diverses variétés du Palmier des Canaries cultivées sur la Côte d'Azur, le Dr Robertson-Proschowsky, de Nice, a signalé sous le nom de P. canariensis var. edulis (Fruitiers exotiques sur la Côte d'Azur, p. 12.), une forme cultivée dans son jardin qui ne se distingue en rien du type, si ce n'est que les dattes ont une pulpe mince mais de saveur agréable. M. P. Popenoë qui les a dégustées, écrivait en 1912 que « si ce palmier pouvait être cultivé en Californie du Sud, toute maison pourrait cultiver des dattes pour l'usage de la famille ». Toutefois, le Dr Robertson-Proschowsky remarque que la chair est peu abondante et que la plante aurait besoin d'être améliorée par sélection. Ce palmier vit toujours, mais très rarement il donne quelques dattes mûres parce que les rats les mangent avant leur complet développement.

 

PHOENIX INTERMEDIA NAUDIN IN BECCARI

 

C'est sous cette appellation qu'on réunit les hybrides très variés de P. dactylifera et P. Jubae. La synonymie du groupe, d'après Beccari, est la suivante : P. intermedia Naudin in Beccari, I. c., 1886-90, p. 364 = P. hybrida E. André Rev. Hortic., 1888, p. 366 = P. dactylifera x canariensis Beccari. Il existe des formes nombreuses reliant les deux espèces, ce qui s'explique par la grande variabilité des parents. A Menton et à Nice, j'ai observé plusieurs de ces formes, à port de P. Jubae mais à feuillage glauque. Il en existe qui donnent abondamment de petits fruits jaunâtres à pulpe mangeable mais sans saveur. Dès 1893, E. André avait émis l'opinion que certains de ces hybrides pourraient donner de bonnes dattes, et il pensait que c'était dans ce groupe qu'on pourrait trouver des formes fructifères cultivables sur la Côte d'Azur (Fructification dans la région méditerranéenne d'arbres plus ou moins rares. Bull. Soc. Agric., 1893, p. 19).

Effectivement, A. Chabaud a signalé quelques années avant la guerre l'existence, dans un jardin du Golfe Juan, d'un palmier hybride appartenant à ce groupe. Il le nomme P. canariensis glauca, et il lui attribue « des fruits noirs à maturité de la grosseur de ceux de P. canariensis, à pulpe aussi savoureuse que celles des dattes d'Afrique, mais moins charnue » (Palmiers de la Côte d'Azur, p. 142). M. Robertson Proschowsky, qui a dégusté ces fruits, nous écrit que la chair était moins abondante et moins bonne que chez sa variété edulis, signalée plus haut. A notre connaissance ce dattier n'a pas été revu, et nous ignorons s'il est toujours vivant et si on a essayé de le multiplier. Il existe plusieurs autres espèces de Phoenix qui mûrissent leurs fruits dans les jardins de la Côte d'Azur, mais ils sont sans intérêt au point de vue qui nous intéresse ici.

 

CONCLUSIONS

 

On voit par les notes précédentes que les dattiers à bons fruits vivant sur notre littoral méditerranéen se réduisent à quelques sujets appartenant à des formes diverses. Leur apparition est due au hasard, et aucun effort n'a encore été fait pour multiplier et sélectionner ces formes ou en obtenir d'autres. On s'est contenté de multiplier et de répandre les formes ornementales partout où elles pouvaient vivre. Dans les semis effectués, il est apparu de loin en loin des individus donnant de bonnes dattes, mais on n'a point cherché à fixer ces formes et encore moins à les améliorer. Pour obtenir des résultats dans cette voie, il faudrait faire des semis nombreux, mais étant donné la faible étendue des terrains convenant à cette culture sur la Côte d'Azur, il n'est guère recommandable d'entreprendre des expériences à grande échelle, car elles finiraient par être coûteuses, pour aboutir en définitive à de faibles résultats même si elles réussissaient.

Pour les amateurs de notre Midi qui voudraient tenter la fortune d'avoir, selon l'expression de Popenoë, dans leur jardin des dattes pour l'usage de la famille, il sera plus rationnel de planter dans les lieux ensoleillés dont ils disposent des drageons de bonnes variétés de dactylifera provenant du Sahara, ou mieux encore de l'oasis d'Elche. L'expérimentation seule permettra de dire si elles peuvent supporter les hivers tout en donnant de bons fruits. L'étude de ce palmier si précieux pour l'Afrique du Nord, la Mauritanie, le nord du Soudan ainsi que le bassin du Tchad devrait tenter davantage les chercheurs.

 

 

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