Les fruitiers rares
 
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Accueil > Groupes > Agrumes > Pamplemousse ou Pomelo : une équivoque à supprimer.

 

Article publié en 2007.
Première publication 1946.

Auteur : J. BRICHET.

Photographies : J. BRICHET.

Tous droits réservés.

 

 

Pamplemousse ou Pomelo ?

 

Une équivoque à supprimer

 

 

 

L'auteur, qui fut chef du Service de l'Arboriculture en Algérie et directeur du Jardin d'essais du Hamma (Alger), a publié cet article en 1946, revue Fruits d'Outre-Mer, vol. 1, n° 10, pages 297 à 300. Nous en donnons ici de larges extraits qui permettent de bien cerner l'équivoque entre les appellations Pamplemousse et Pomelo, en croisant des considérations botaniques, historiques et économiques. Le combat pour supprimer cette équivoque est-il gagné plus de soixante ans après la rédaction de l'article ? Oui, lorsqu'on regarde les affichettes au-dessus des étals de pomelos dans nos supermarchés ; non, lorsque l'on commande dans nos cafés un jus de pamplemousse et que l'on se régale d'un jus de pomelo...

 

 

Pamplemousse ou Pomelo ? .... Deux noms indifféremment donnés par les consommateurs à deux fruits, mais surtout deux fruits très différents, confondus sous le seul vocable de Pamplemousse.

L'un, le Pamplemousse véritable, est un fruit à peine comestible sans valeur alimentaire ni culturale. L'autre, son proche parent, descendant plus ou moins direct par la voie sexuée (ou peut-être encore gemmaire ?), est nouveau venu dans la pomologie citricole sous le nom américain officiel de Pomelo, mais d'étymologie latine (pomum-melo= pomme-melon). C'est un fruit délicieux, d'une grande valeur alimentaire, hygiénique, culturale et industrielle. Note de François Drouet (2014) - L’article, rédigé en 1946, ne fait pas mention des cultivars remarquables de Pamplemousse (Citrus grandis) disponibles de nos jours. L’auteur s’en tenait à l’espèce type, seule pratiquée à son époque, et qui, bien évidemment, n’avait pas les qualités des cultivars d’aujourd’hui. Fin de note.

Or, peut-être parce que le nom de Pamplemousse est d'usage plus ancien et de consonance plus française, peut-être encore à cause d'une vague ressemblance entre les deux attributaires, c'est lui qui prévaut et sert aux consommateurs à désigner les deux fruits. Ce qui crée une confusion regrettable au préjudice du Pomelo qui est une de nos plus belles acquisitions fruitières de ce siècle, pleine d'avenir.

Mais faisons donc connaissance avec nos hôtes. Le premier, le Pamplemousse, désigné par la botanique sous les noms scientifiques de Citrus decumana, Citrus maxima, Citrus grandis, est en Europe et en Afrique du Nord un fruit surtout curieux par ses dimensions. De forme légèrement aplatie aux deux pôles, il atteint la grosseur d'un beau melon à peau lisse de couleur vert-jaune à maturité. Son écorce (épicarpe) est très épaisse (2 cm et plus), de consistance spongieuse, cotonneuse.
 

 Fruit du Pamplemousse (Citrus grandis)

 Fruit du Pamplemousse (Citrus grandis).
 

Sa chair (mésocarpe), de texture grossière, quelquefois teintée de rose, est composée de 10 à 15 tranches (sections) séparées par des membranes solides, coriaces, enfermant un réseau de cellules (sacs) plus ou moins pleines ou vides d'un jus plus âcre et amer que doux, dépourvu d'agrément gustatif. Le tout accompagné de 40 à 75 gros pépins ailés encombrant toute la partie centrale du fruit.

En Asie méridionale, aux Indes notamment, il existe quelques formes de Pamplemousse à chair rosée, suffisamment affinés et connus sous les noms indigènes de Djerock, Djerock Bali, Djerock Pandan, etc. Ils font l'objet d'une certaine consommation, mais leur intérêt fruitier ne paraît pas avoir encore dépassé les frontières du pays.
 

Intérieur du fruit du Pamplemousse (Citrus grandis)

Intérieur du fruit du Pamplemousse (Citrus grandis).
 

Le second, le Pomelo, est un fruit de grande consommation mondiale, au même titre que l'orange, et est cultivé dans les régions agrumicoles des cinq continents sur des dizaines de milliers d'hectares. Son origine botanique, présumée hindoue, aussi bien d'ailleurs que son ascendance génétique, paraissent encore incertaines. Cependant, il se distingue des autres membres de sa famille par des caractères pomologiques suffisamment nets pour le faire considérer comme une espèce distincte par certains botanistes, qui en ont fait le Citrus paradisi.

C'est un fruit de dimensions plus réduites que le précédent. Il atteint normalement le poids de 300 à 600 grammes, selon les variétés. Son écorce (épicarpe) est sensiblement de la même épaisseur que celle de la plupart des oranges. Elle est lisse et d'une belle couleur jaune citron, tirant quelquefois sur le jaune-chrome.
 

Fruit du Pomelo (Citrus paradisi)

Fruit du Pomelo (Citrus paradisi).
 

Sa chair (mésocarpe) est formée, selon le cas, de 9 à 13 ou 14 tranches (sections) séparées par des membranes minces et fragiles, pleines d'un jus abondant, doux, acidulé, délicieusement parfumé d'un arôme un peu spécial bergamoté. Sa légère pointe d'amertume le rend particulièrement agréable à la dégustation et lui confère des propriétés toniques et apéritives appréciées par les hygiénistes du monde entier. Les bonnes variétés commerciales ne contiennent que peu ou pas de graines.
 

Fruit du Pomelo (Citrus paradisi)

Fruit du Pomelo (Citrus paradisi).
 

Note de François Drouet (2007) - On remarquera, pour le Pomelo, la columelle étroite, la forme globuleuse à peine aplatie aux pôles, le grain de peau lisse ponctué de pores très serrés ; pour le Pamplemousse, le trou central large, le pôle apical très déprimé, les feuilles elliptiques avec pétiole largement ailé, la peau très épaisse. Fin de note

Le Pomelo est un fruitier d'une prolificité remarquable, capable d'une production inégalée par aucun autre Citrus. Il porte ses fruits en bouquets, ce qui lui a valu le nom de Grapefruit que lui donnent généralement les Américains et autres peuples de langue anglaise. Introduit depuis une quarantaine d'années dans les cultures nord-africaines, il s'y est parfaitement acclimaté. Il y a fait preuve d'une grande productivité de fruits de haute qualité à tous points de vue et, si son exploitation est encore limitée à quelques dizaines d'hectares, c'est certainement parce que le consommateur français n'a pas appris à le connaître et l'apprécier.

Le Pomelo est un Hespéride de culture déjà ancienne. Son origine botanique est encore confuse et controversée, mais ses mérites pomologiques sont reconnus depuis 60 ans au moins par les cultivateurs floridiens qui l'adoptèrent vers 1885 comme fruitier d'exploitation commerciale. Il reçut alors le nom officiel de Pomelo et fut lancé dans l'agrumiculture des états du sud des Etats-Unis, Floride-Texas-Arizona-Californie etc., qui produisent actuellement plus de 5.000.000 de quintaux de ce fruit.

Les débuts du Pomelo dans le public des consommateurs américains, comme dans celui des cultivateurs floridiens, n'allèrent cependant pas sans quelques confusions regrettables avec son indésirable proche parent. Celui-ci était alors déjà répandu dans les jardins d'agrément et de collection sous les noms de Shaddock, ou Shadec, rappelant le navigateur de même nom qui l'introduisit aux Antilles, ou de Pampelmos ou Pampelmoes (altérations du Tamoul Bambolmas) par lesquels il était désigné par les Espagnols et les Hollandais deux siècles avant cette introduction.

Comme il arrive aujourd'hui encore en France, les méprises entre ce Shaddock, ou Pamplemousse, sans intérêt fruitier et à peine comestible, et le merveilleux Pomelo étaient si fréquentes qu'elles jetaient le discrédit sur ce dernier, entraînant un freinage désastreux de l'extension culturale. Il devenait indispensable de supprimer toute possibilité d'équivoque. C'est dans cet esprit que le Ministère de l'Agriculture à Washington, sur la proposition des Sociétés d'Horticulture de Floride et de Californie, attribuait officiellement le nom de Pomelo, ou Grapefruit, à l'arbre et aux fruits dont les botanistes avaient fait l'espèce distincte Citrus paradisi. Ces deux vocables sont les deux seuls autorisés depuis dans les transactions commerciales, qu'il s'agisse de l'arbre ou du fruit, excluant ainsi tout danger de confusion.

 

NOTES COMPLEMENTAIRES (2014) - AUTEUR : Jean-Paul BRIGAND (site Lugar do Olhar Feliz).

A ceux qui répéteraient de nos jours “le pamplemousse est plus acre et amer que doux", je peux dire simplement que c’est tout à fait faux car j’en mange tous les soirs... Les fruits des nombreux cultivars actuels sont remarquablement équilibrés, et il serait sans aucun fondement de déclarer qu’ils sont quasiment dépourvus d'agrément gustatif. Ce sont au contraire des modèles d'équilibre gustatif, si, bien entendu, on les consomme à bonne maturité et sans les mettre au réfrigérateur. Leur pulpe est d’une très grande finesse.

Les cultivars de Pamplemoussier (Citrus maxima Merr., Citrus grandis Osbeck) disponibles de nos jours ne sont pas toujours aplatis. Il en existe aussi des sphériques et des piriformes. Et surtout, on ne saurait qualifier leur pulpe de “grossière”. A la différence de celle des cultivars de Pomelo (Citrus paradisi Macfad.), elle est peu juteuse. Mais c’est précisément pour cela qu’elle est agréablement croquante, et beaucoup plus facile à manipuler lors de la consommation. 

Ces cultivars domestiqués sont bel et bien des fruits de grande consommation en Asie, où ils correspondent au goût de tout le monde. Quasi inconnus en Europe, ils répondent au goût asiatique : délicatement équilibrés, d'un goût peu marqué, d'une texture qui libère le jus et les saveurs successivement. En Chine du sud, Cochinchine, Malaisie, Indonésie (remarquable réservoir de variétés), les gens en mangent 72 kg / an / personne. C'est bien le signe de leur intérêt gustatif. Le principal avantage du pamplemousse est sa longue conservation à température fraîche, qui améliore son équilibre gustatif.

Nous recevons en Europe à partir de septembre le Honey chinois, puis en février lui succède le Nam Roi vietnamien (plus juteux) du delta du Mekong. Ces cultivars sont sélectionnés aussi pour leur incroyable aptitude au transport. Je vous recommande le Kao Pan du Laos, qui produit abondamment des fruits excellents en janvier - février ici, dans le sud portugais. J'ai eu la visite d’un producteur de vin, un bourguignon avec un vrai nez. Il n’en revenait pas de la qualité gustative de Kao Pan. Je vous recommande aussi et surtout l'Hirado japonais, disponible en Europe. Le Japon apprécie spécialement les cultivars Tosa et Cristal. Le vert de Tahiti possède une note amère qui évoque la chicorée puntarelle (que j'adore), et les hybrides de Nouvelle Zélande, comme Cutler's Red Skin, produisent des fruits bons, beaux, impressionnants.

La couleur de la pulpe et le goût sont très variables. Ce qui est commun est la douceur, l’équilibre, la texture. Même si le fruit est juteux, le jus ne coule pas. Autre point commun, ils ne sont pas facile à éplucher, il faut extraire la pulpe des quartiers, un par un, ce qui est long. C’est un fruit typiquement asiatique.

Ce sont des plantes qui n'ont pas de problèmes de froid. On m‘a cité un cas de résistance à -8 °C, les miens ont subi -3 °C, ces gels sont brefs, mais ma grande surprise a été de voir cet arbre fructifier dans une orangeraie exposée à l’est. Autrement dit, le Pamplemoussier supporte sans problèmes les vents très froids qui peuvent durer une semaine par an.

On peut souligner que notre climat ne donne pas les mêmes périodes de maturité qu’en Asie. En Chine, la récolte commence en septembre. Manifestement l’Asie à climat continental, dont le Japon, a sélectionné des fruits hâtifs ou récoltables avant leur hiver, qui est sec et sévère. Très souvent ces fruits sont ressuyés entre 1 à 3 mois pour parfaire la maturité hors gel, ce qui leur donne ce goût doux qui est très apprécié. Ici, dans le sud portugais, aucun fruit n’est bon avant janvier, mais comme nous n’avons pas de froid significatif, je les laisse sur l’arbre, ce qui ne se fait qu’en Asie du sud, Malaisie etc. C’est donc sur l’arbre qu’ils mûrissent. Je les récolte quand ils se détachent, entre janvier et avril.

En ce qui concerne le Pomelo (Grape Fruit, Citrus paradisi Macfad.), il  a été introduit en Floride au hasard des voyageurs, et a été cultivé et promu pour sa superbe tenue après récolte, son aptitude au transport, ainsi que pour le jus. Le cultivar Duncan, par exemple, est difficilement mangeable en fruit de bouche, mais très appréciable en jus. Il existe des cultivars sucrés, tel Floride Seedless, excellents en demi fruit, qui étaient jadis passés sous le gril du four couverts de sucre et de beurre. Mon préféré est Oro Blanco. Mais, à vrai dire, ils sont sans comparaison avec les cultivars asiatiques de pamplemousse : texture inconsistante et goût déséquilibré tendant vers le sucré. Si les horticulteurs de Floride avaient connu les pamplemoussiers, ils les auraient, bien entendu, cultivés à grande échelle. Beaucoup de mes amis de Floride aiment par dessus tout le pamplemousse du Japon Hirado.

Pour dire, en conclusion, ce que je pense : le grape fruit est bel et bien un produit de la puissance du savoir faire des américains dans les domaines de la santé et du marketing, mais, d'un point de vue de la gourmandise, le père maxima est nettement plus délicat que le fils, tout paradisi qu'il est... 

La méconnaissance des qualités du pamplemousse résulte très certainement du fait qu’il y a eu divers fruits en circulation, comme pour l’orange avec le même nom pour l’orange amère et l’orange douce, parmi lesquels des fruits décoratifs mais peu comestibles tels quels. Par exemple, Ibn Al Awwam dit à propos du Zamboa (féminin) : « le fruit est très gros, granuleux de couleur jaune, on mange l’extérieur et l’intérieur, il est d’un grande acidité ». Mais les arabes andalous aimaient beaucoup confire les fruits au sucre. Ce zamboa pourrait bien être le Zabon du Japon, effectivement non consommé.

En 1564, Christophe de Vega en fait une description assez précise, qui laisse penser qu’il existe alors des hybrides dont certains au goût agréable. Dès le XVIe siècle, tout devient confus. J. Parkingson, en 1640, accroît l’imprécision en confondant les zamboa et les lumies (source). Le terme Toronja, ou taronja en catalan, apparaît au XVIe siècle. On ne sait si c’est une orange ou un hybride, car le fruit arabe existe sans doute toujours, à preuve le portugais du Brésil emploie toujours le mot Cimboa pour pamplemousse, alors qu’au Portugal on dit par confusion Toronja (source Wikipedia). Au début du XVIIIe siècle, on parle toujours ici de toronja «amère » (azeda). Source. Quoi qu’il en soit, les grands cultivars doux d’Asie ne sont ni connus ni acclimatés en Europe avant la fin du XVIIIe siècle. D'autre part, ce fruit ayant de nombreuses graines, il est a peu près certain, comme le note la revue Gardener’s magazine en 1828, que les semis ont donné des arbres à fruits plus ou moins amers.

 

 

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