Les fruitiers rares
 
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Article publié en 2014.
Première publication : 1951.
Auteur : Boris TKATCHENKO.

 

 

Les agrumes en U.R.S.S

 

(deuxième partie)

 

 

 

Boris TKATCENKO, directeur de laboratoires de l'agriculture de la France d'Outre-Mer, a publié cet article en 1951 dans la revue Fruits, vol. 6, n° 3, pages 89 à 98. Il s'agit d'une deuxième partie, consacrée aux techniques culturales, qui fait suite à une première partie traitant de l'historique, des régions de culture, des procédés de sélection, des variétés cultivées et de la rusticité (publiée la même année dans la même revue, vol. 6, n° 2, pages 43 à 54). L'article présente les techniques de l'agrumiculture soviétique : culture en pleine terre, rampante, en tranchées, avec transplantation annuelle, en appartement, en orangeries et limonaria, méthode de Ryndine (dite à double étage).

 

 

La différenciation écologique très accusée de nombreuses régions et microrégions agrumicoles a donné naissance à une série de techniques agricoles très souples qui permettent de protéger suffisamment les Citrus des rigueurs hivernales, tout en assurant l'optimum de productivité et de qualité des fruits. En indiquant dans la première partie de l'article les principaux centres de la culture des agrumes en U.R.S.S., nous avons énuméré ces techniques. Voici maintenant les détails concernant chacune d'entre elles. Nous verrons successivement : culture en pleine terre, culture rampante, culture en tranchées, culture avec transplantation annuelle, culture en appartement, culture dans les orangeries et « limonaria », culture à double étage (méthode de Ryndine).

 

CULTURE EN PLEINE TERRE

 

Dans les subtropiques soviétiques, les régions littorales de l'Adjarie et de Gourie exceptées, les plantations d'agrumes de pleine terre se présentent rarement sous l'aspect de vergers homogènes s'étendant sur de vastes superficies d'un seul tenant. Accaparant le moindre lopin de terrain à microclimat favorable, elles s'éparpillent sur les collines à pente douce bien exposées de la région côtière ou s'étagent sur des terrasses soigneusement aménagées, souvent avec l'utilisation d'excavatrices puissantes, et sur des versants accusant 30° de pente mais bien exposés.

Avec l'éloignement de la côte, le mode de plantation en terrasse devient prédominant car il assure aux agrumes, cultivés alors presque en espaliers, une meilleure protection contre les gelées d'hiver plus fréquentes dans ces régions. La protection contre le froid comprend des mesures d'ordre collectif (intéressant l'ensemble de la plantation), et des mesures d'ordre individuel (appliquées à chaque arbuste planté).

Les unes et les autres peuvent être soit naturelles (certaines pratiques culturales, par exemple), soit artificielles (comme des abris d'étoffe placés sur chaque sujet ou le chauffage des plantations à l'aide de brûleurs à mazout). Les premières comportent essentiellement la plantation de rideaux brise-vent, disposés de telle façon qu'ils puissent amoindrir l'effet nuisible des vents froids d'hiver et des vents chauds et secs d'été. Mais aussi pour qu'ils puissent canaliser en dehors de la plantation les masses d'air froid descendant des sommets des collines.

Pour diminuer le refroidissement nocturne dû à la radiation du sol, on a, selon les cas, recours soit au paillage (mulching), soit à la culture de légumineuses de couverture. Cette dernière se pratique surtout en automne de façon à dessécher la couche superficielle du sol, ce qui permet aux agrumes de passer plus tôt au stade de repos hivernal et par conséquent de mieux résister aux gelées.

La diminution de la hauteur des agrumes cultivés et la formation convenable de leur couronne par une taille appropriée se révèlent comme des moyens de protection puissants contre le froid. D'autres pratiques dans le même objectif : le liage des couronnes, le buttage des troncs (quelquefois jusqu'aux premières branches maîtresses, mais toujours recouvrant le bourrelet de la greffe) et surtout une application raisonnée des engrais effectuée de façon à éviter la formation tardive des pousses.

Dans les principaux centres mondiaux de culture, la taille des agrumes ne se pratique que très rarement (H.H. Hume conseille même de « tenir le sécateur le plus loin possible de la plantation de Citrus »). Les agrumiculteurs soviétiques la considèrent au contraire comme absolument indispensable, et l'appliquent même aux arbres de taille normale cultivés en pleine terre. D'après Gousseva, une taille rationnelle permet de tripler la productivité des agrumes et notamment des mandariniers.

Pour les jeunes plantations, la protection individuelle contre les froids consiste en l'utilisation pour chaque arbuste d'un abri fait de tissu (toile à sacs, étamine, etc.) ou de nattes, supporté par une armature légère de perches. Le tissu ou la natte doivent laisser passer suffisamment de lumière pour que les arbres ne s'étiolent pas et ne deviennent de ce fait plus sensibles au froid, notamment dans le cas de l'oranger et du mandarinier. Pour les plantations adultes, la protection est réalisée à l'aide des brûleurs à mazout transportables de Nikiforov.

La protection à l'aide des abris individuels se montre d'autant plus efficace que les arbres sont de taille plus petite. D'autre part, les agrumes de haute tige ayant une couronne sphérique offrent, toutes conditions égales par ailleurs, une résistance plus marquée au froid que les arbres ayant toute autre forme de couronne. Signalons enfin que parmi les mesures destinées à accroître la résistance des agrumes contre les froids, la plantation très serrée (jusqu'à 3.000 pieds à l'ha) s'est révélée très efficace.

La protection des agrumes contre les froids constitue le problème dominant pour les planteurs soviétiques, mais il n'est pas le seul. Ils doivent également protéger leurs plantations contre la chaleur excessive des étés, caractérisés souvent par la fréquence des vents desséchants. Parmi les procédés utilisés pour combattre la surchauffe des couronnes, on doit signaler le badigeonnage de la partie supérieure des feuilles, effectué par pulvérisation de lait de chaux. Cette pratique permet d'abaisser la température des feuilles de 4° environ par rapport aux feuilles non blanchies.
 

Influence du badigeonnage à la chaux des feuilles de mandarinier

Influence du badigeonnage à la chaux des feuilles de mandarinier.

 

CULTURE RAMPANTE

 

La culture des Citrus à l'état nain et demi-nain, a abouti, par une évolution normale, à leur « culture rampante ». Grâce à celle-ci, la culture des agrumes s'est répandue rapidement à toute la zone du littoral de la mer Noire. La forme « rampante » des agrumes, grâce à la facilité avec laquelle elle se prête à la culture dans les tranchées peu profondes, leur a permis de s'installer dans les régions où la température peut descendre en hiver à 30° au-dessous de zéro.

La méthode de la culture rampante près du sol a été mise au point par Lavriitchouk peu de temps avant la guerre, à la station expérimentale de Sotchi. Son principe dérive de la méthode de culture étalée sur le sol, élaborée il y a une quinzaine d'années par Kiziourine pour les vergers des régions froides. Elle s'en distingue cependant nettement.

Dans la méthode de Kiziourine, le tronc de l'arbre fruitier prend une position inclinée dès sa sortie de la terre et les branches maîtresses de la couronne, formée en éventail unilatéral, touchent le sol de même que les fruits. Dans la méthode de Lavriitchouk, la tige, haute de 10 à 15 cm, reste droite et les branches maîtresses se développent radialement sous un angle de 90° par rapport au tronc, constituant ainsi une couronne en forme d'araignée, sans que ses branches touchent le sol.

La culture rampante près du sol étudiée par Lavriitchouk sur les citronniers pendant une dizaine d'années, comparée avec la méthode normale et le procédé Kiziourine, en pleine terre pour les trois, s'est montrée dans les conditions des subtropiques soviétiques la plus pratique et la plus économique. Sa supériorité est due au microclimat particulier créé par la couronne rampante près du sol et caractérisé essentiellement par l'atténuation des maxima d'été et des minima d'hiver.

En hiver, la différence entre les températures des couches d'air situées d'une part à 2 m du sol et d'autre part au niveau de la couronne rampante, atteint couramment 2,5 à 3 °C. En été, pendant les fortes chaleurs, l'écart peut dépasser 20 °C. De ce fait, les Citrus cultivés sous forme rampante près du sol reçoivent 300 à 400° de chaleur de plus que ces mêmes Citrus conduits en culture normale. Il en résulte que les diverses phases phénologiques de leur développement s'effectuent beaucoup plus rapidement et que les fruits mûrissent, dans les conditions de printemps favorables, un mois plus tôt que chez les Citrus de haute tige ou demi-nains à couronne normale.

D'autre part, la faible taille des arbustes rampants permet d'assurer parfaitement et à peu de frais leur protection efficace contre les froids en hiver et contre les vents chauds et secs en été. C'est ainsi que durant l'hiver 1942-1943, au cours duquel les gelées ont atteint -15 °C sur le littoral, les citronniers rampants, protégés par une double couverture d'étamine que recouvrait une couche de neige de 35 à 45 cm d'épaisseur, n'ont nullement souffert. Les citronniers témoins de haute tige protégés de la même façon ont gelé jusqu'aux racines.
 

Efficacité des différents modes de protection individuels contre le froid

Efficacité des différents modes de protection individuels contre le froid.
 

La protection contre les vents se montre tout aussi efficace. Lavriitchouk a par exemple constaté que lorsque dans les vergers de la région de Sotchi la vitesse du vent à 2 m du sol atteint 10,4 m par seconde, à 25 cm du sol (c'est-à-dire au niveau des citronniers rampants) elle n'est que de 1,8 m par seconde, soit presque six fois moindre. Ce dernier avantage acquiert une importance particulière pour le développement de la culture des agrumes dans les parties venant d'être asséchées de la plaine marécageuse de la Colchide, où les vents d'été se caractérisent par leur violence et leur siccité extrêmes.

Enfin, sur le plan économique, la culture rampante des agrumes s'est révélée également nettement plus avantageuse que la culture classique à couronne normale. Les arbustes rampants entrent en production plus tôt, produisent davantage et fournissent des fruits de qualité supérieure. Voici quelques chiffres à ce sujet, d'après Lavriitchouk.
 

Premier exemple : récolte moyenne des fruits sur les citronniers plantés en 1939 à Sotchi, en pièces par arbre, pour la culture rampante (cr) par rapport aux témoins (t) en culture demi-naine.

1940... cr : 7, t : 0  ;

1941... cr : 30, t : 5

1942... cr : 76, t : 12  

1943... cr : 71, t : 34

1944... cr : 192, t : 169

1945... cr : 224, t : 219

1946... cr : 170, t : 139

1947... cr : 218, t : 216

Maximum individuel : 520 pièces en culture rampante , et 328 pièces pour les témoins en culture demi-naine.
 

Deuxième exemple : récolte moyenne totalisée sur six ans (1940-1945) fournie par les citronniers Kouzner, en Abkhazie.

a : nombre des fruits par arbre ; b : poids moyen du fruit (g) ; c : poids des fruits par arbre (kg) ; d : récolte pour 100 par rapport au témoin, en nombre ; e : récolte pour 100 par rapport au témoin, en poids.

Témoins (culture classique)... a : 150 ; b : 73 ; c : 11 ; d : 100 ; e : 100

Culture étalée sur le sol (méthode Kiziourine)... a : 148 ; b : 90 ; c : 13,3 ; d : 99 ; e : 120

Culture rampante près du sol (méthode Lavriitchouk)... a : 245 ; b :  96,5 ; c :  23.5 ; d : 163 ; e : 213
 

Le mandarinier, le grapefruit et l'oranger se prêtent à la culture rampante avec les mêmes facilités et avantages que le citronnier. La culture rampante de Lavriitchouk présente une importance considérable pour l'agrumiculture soviétique. Elle a notamment permis d'étendre la culture du citronnier et de l'oranger (plus sensibles aux froids que le mandarinier) dans toutes les régions du littoral où, jusqu'alors, elle était impossible en pleine terre. Elle a permis aussi d'introduire la culture du mandarinier là où ce dernier n'a jamais pu s'acclimater avant.

D'autre part, la culture rampante rend possible le remplacement des variétés robustes de qualité ordinaire par des variétés plus fragiles mais beaucoup plus estimées. Mais son plus grand mérite est certainement le fait que, combinée avec la technique des tranchées, elle a fait faire aux agrumes un bond vers le nord jusqu'au 48e (régions méridionales de l'Ukraine, par exemple).

 

CULTURE EN TRANCHÉES

 

La « technique de tranchées » permet, comme nous l'avons dit, la culture des agrumes dans les régions où le thermomètre peut marquer en hiver jusqu'à -30 °C.  Dérivée de la culture forcée des légumes sous châssis froids, pratique ancienne et courante dans toute la Russie méridionale, elle est basée sur le principe de l'utilisation de la chaleur des couches profondes du sol protégeant les agrumes de l'effet nuisible des basses températures de l'air au cours de l'hivernage.

Elle est basée aussi sur la propriété que possèdent les Citrus de supporter aisément un ombrage prolongé, voire l'obscurité complète, à condition que la température de l'air au contact de leur couronne se maintienne pendant ce temps entre +1 et +4 °C.  Les essais effectués par Vlassenko avant la guerre, dans la région d'Odessa, ont prouvé que le citronnier nain cultivé dans des tranchées profondes de 100 cm et protégées en hiver par des châssis vitrés et doubles paillassons peut supporter des froids de -28 °C sans souffrir, tout en produisant 80 à 100 fruits par pied. Le minimum thermique enregistré dans la tranchée a été de -1,2 °C alors qu'à l'extérieur la température de l'air a été de -28 °C.

Au cours de l'hiver 1941-1942 particulièrement rigoureux, Alexandrov a pu constater dans la région de Krasnodar qu'à l'intérieur des tranchées profondes de 90 cm et protégées par des doubles paillassons la température s'est maintenue au niveau de 0 °C, alors que le thermomètre placé dans l'abri météorologique à 25 cm du sol marquait -30 °C. Les citronniers cultivés dans ces tranchées à l'état rampant n'ont pas souffert du froid et ont fourni une récolte normale.
 

Evolution des minima thermiques dans la tranchée et dans un abri météorologique

Evolution des minima thermiques dans la tranchée et dans un abri météorologique.
 

Les tranchées doivent être établies sur des terrains caractérisés par un microclimat le plus favorable, avec la nappe phréatique située au-delà de 1,50 m de profondeur. Dans les régions où les étés sont chauds et secs, on les creuse entre les rangées espacées d'un verger. On les oriente d'est en ouest, de façon que les agrumes bénéficient au maximum de l'éclairement solaire au cours des mois d'hiver.

Les tranchées sont généralement de section trapézoïdale, mesurent 1,50 m de largeur au fond et 2 m en haut. Leur longueur dépend de la nature du terrain et leur profondeur varie de 0,6 à 2 m, en fonction des minima thermiques caractérisant la région et de la forme que l'on donne aux agrumes : naine ou rampante. La première exige naturellement des tranchées plus profondes.

La tranchée creusée, son fond est ameubli sur 25-30 cm de profondeur. Après avoir reçu la terre de surface précédemment mise de côté, elle est fumée au fumier de ferme à raison de 40 à 50 kg par pied. Chaque tranchée comporte un dispositif de drainage et, à la partie supérieure, un rebord de bois sur lequel se poseront en hiver les « boucliers » de protection et les paillassons.
 

Coupe transversale des tranchées à agrumes

Coupe transversale des tranchées à agrumes.
 

La plantation a lieu au printemps, lorsque les dernières gelées sont passées. Les arbustes sont placés à 2 m de distance les uns des autres. Par une taille sévère, la formation de la couronne rampante est achevée en 2-3 ans. Au cours de l'été, les agrumes reçoivent les mêmes soins que ceux plantés en pleine terre dans les conditions ordinaires. Le sol de la tranchée est maintenu à l'état d'humidité convenable de façon à assurer la transpiration des feuilles et, pendant les grandes chaleurs, les tranchées sont protégées à l'aide d'écrans d'ombrage en jonc tressé tamisant la lumière.

Dès que les gelées sont à craindre, on recouvre les tranchées de boucliers en bois et de paillassons simples ou doubles, selon la vigueur des gelées. L'expérience a montré que les boucliers faits en planches de 2 cm d'épaisseur offrent une protection anti-gel plus efficace que les châssis vitrés tout en étant bien meilleur marché que ces derniers. La couche de neige recouvrant éventuellement les paillassons est toujours laissée en place.

Lorsqu'en hiver la température se maintient au-dessus de 0°, les boucliers sont soulevés du côté sud ou complètement enlevés dans la journée. Cultivés dans ces conditions, les citronniers produisent généralement 80 à 200 fruits par pied et les mandariniers bien davantage ; leur culture se montre très rentable dans les conditions économiques de la Russie soviétique.

 

CULTURE AVEC TRANSPLANTATION ANNUELLE

 

Dans ce mode de culture, les Citrus, maintenus par une taille appropriée à l'état nain ou demi-nain (1 à 1,5 m de hauteur), passent la belle saison en pleine terre à découvert. A l'approche de l'hiver, ils sont déterrés et transportés avec la motte de terre entourant les racines dans les hangars d'hivernage où ils restent serrés les uns contre les autres jusqu'à ce que les gelées printanières ne soient plus à craindre.
 

Régime thermique de l'air dans un hangar d'hivernage

Régime thermique de l'air dans un hangar d'hivernage.
 

Dans certaines régions de la Géorgie occidentale éloignées de la côte et où les gelées hivernales peuvent atteindre -9 °C (par exemple à Chromy), les agrumes, à l'approche de l'hiver, sont transportés avec la motte de terre dans les endroits naturellement abrités et jouissant de ce fait d'un microclimat particulièrement doux. Même pendant les plus fortes gelées, la température n'y descend jamais au-delà de -2 °C.

Les jeunes plants y sont entassés dans les tranchées creusées entre les rangées d'une plantation adulte et recouverts de terre au-dessus du collet.  Les types de hangars d'hivernage varient selon les régions en fonction de l'intensité des gelées hivernales. Là où les hivers sont relativement doux (minima thermiques -15 °C), on construit des bâtiments légers en bois, généralement non chauffés en hiver.
 

Croquis d'un hangar d'hivernage en climat relativement doux

Croquis d'un hangar d'hivernage en climat relativement doux.

 

Dans les régions plus froides, les bâtiments utilisés sont en maçonnerie, à demi enterrés et munis de dispositifs de chauffage.
 

Croquis d'un hangar d'hivernage en climat rigoureux

Croquis d'un hangar d'hivernage en climat rigoureux.
 

Pour faciliter la transplantation annuelle, les Citrus doivent être maintenus à 1 m - 1,50 m de hauteur et leur système radiculaire doit être convenablement « éduqué » de façon que la motte de terre entourant les racines soit compacte et facile à transporter. Après l'hivernage dans les hangars, les agrumes transplantés se développent beaucoup plus rapidement que ceux de culture ordinaire : ils fleurissent 15 à 20 jours plus tôt, et mûrissent leurs fruits 30 à 40 jours en avance sur ces derniers.

On compte que pour un hectare de plantation (environ 2.500 arbustes) le hangar d'hivernage doit avoir une superficie totale de 1.000 m². Au premier abord, la culture des agrumes avec la transplantation, exigeant beaucoup de main-d'œuvre et une mise de fonds assez importante pour la construction du hangar, paraît irrationnelle, voire absurde, du point de vue économique. Le calcul et la pratique montrent cependant que dans les conditions de l'économie soviétique elle est plus avantageuse que la culture classique des agrumes qui, dans les conditions écologiques locales, exige toujours une protection individuelle contre les froids et notamment le chauffage des plantations en hiver.

La culture classique demande, du point de vue main-d'œuvre, pour un hectare, 290 « troudodien » (journée de travail d'un homme) sans chauffage, et 358 « troudodien » avec l'utilisation des brûleurs à mazout. Ceci sans garantir une protection absolue contre les gelées. La méthode avec transplantation n'exige que 330 « troudodien », et assure une protection absolue des agrumes. L'expérience des kolkhozes de la région de Krasnodar établi, d'autre par, que la culture avec transplantation annuelle permet d'amortir la mise de fonds au bout de cinq ans, et donne à partir de la sixième année un bénéfice net de 150.000 roubles à l'ha (prix 1941-1944).

 

CULTURE EN APPARTEMENT

 

La culture des plantes d'appartement a de tout temps joui en Russie d'une vogue extraordinaire. Dans les villes surtout, rare était le logis qui n'avait pas son pot de « Ficus », de « rosier de chine » (Hibiscus double) ou de « Chamaerops ». La culture d'appartement des agrumes, du citronnier particulièrement, s'y pratique depuis plus d'un siècle.

La ville de Pavlovo sur l'Oka (province de Gorki, précédemment Nijni-Novgorod) en constitue le centre le plus important. Introduit vers le milieu du siècle dernier de Turquie par un de ses citadins, le citronnier a fourni une variété spéciale, dite de Pavlovo, parfaitement adaptée à la culture dans le microclimat particulier d'appartement et donnant régulièrement 20 à 35 fruits par pied et par an.

Le gouvernement soviétique fait une large propagande en faveur de ce mode de culture. Les stations de recherche sur les agrumes étudient particulièrement la « culture en chambre » du citronnier, diffusent les meilleures méthodes pour sa conduite, produisent des centaines de milliers de plants qu'ils fournissent au prix coûtant à tous les amateurs. Actuellement, on trouve des citronniers et des mandariniers et autres agrumes en pots ou en caissons dans toutes les écoles, bâtiments publics, voire dans les halls vitrés d'usines et d'ateliers.

La production totalisée de cette branche d'agrumiculture doit se chiffrer par des milliers de quintaux, et fournit un appoint intéressant à la production globale des agrumes en U.R.S.S.

 

CULTURE DANS LES ORANGERIES ET LIMONARIA

 

La nécessité de fournir des légumes verts aux habitants des nombreux et très importants centres industriels situés au-delà du cercle polaire (Kirovsk, Kandalakcha, Vorkhouta, etc.) a forcé les agronomes russes à développer les méthodes de culture en serres. La superficie totale occupée en U.R.S.S. par les cultures « sous verre » serait à l'heure actuelle la plus importante du monde.

Dans ces serres « géantes » la production des légumes est, si on peut le dire, « mécanisée ». Les températures et les humidités de l'air et du sol, de même que la teneur de l'air en CO2, sont maintenues artificiellement au niveau optimum pour chaque culture. L'insuffisance de l'éclairement naturel est compensée par l'éclairage électrique comportant une dose convenable de rayons ultraviolets et infrarouges. La « longueur du jour » est également ajustée selon les besoins particuliers de chaque culture.

L'agrumiculture a pleinement profité de l'expérience de ces « trusts des constructions vertes », selon l'expression soviétique. Actuellement, on trouve des orangeries industrielles réparties sur tout le territoire de l'U.R.S.S. près des centres importants d'activité, dédiées particulièrement à la culture du citronnier.

D'autre part, il faut mentionner l'existence de nombreux « limonaria », situés sur le littoral de la mer Noire, en Crimée et en Transcaucasie, c'est-à-dire dans les régions à climat doux (Batoumi, Soukhoumi, Tbilissi, Yalta). Un « limonarium » est une sorte de serre-espalier disposée en gradins semi-circulaires autour d'une colline particulièrement bien exposée, ce qui rend inutile tout chauffage en hiver.
 

Un limonarium d'Abkhazie

Un limonarium d'Abkhazie.
 

Bien que la culture des agrumes sous couvert vitré et chauffé exige une mise de fonds considérable, dans les conditions de l'économie soviétique elle se montre rentable. En effet, chaque arbre produisant 300 à 400 fruits par an n'exige que 24 roubles de dépenses, y compris l'amortissement de l'orangerie, étalé sur 8 à 10 ans.

 

CULTURE A DOUBLE ÉTAGE (METHODE DE RYNDINE)

 

On ne peut clore ce rapide exposé des techniques agrumicoles soviétiques sans mentionner la curieuse méthode de Ryndine, qu'il qualifia « culture à double étage ». Elle consiste à greffer le citronnier ou l'oranger dans la couronne des mandariniers. Après deux ou trois ans, les arbres ainsi traités produisent des mandarines dans l'étage inférieur de la couronne, tandis que l'étage supérieur fournit une récolte de citrons ou d'oranges.

Lorsqu'en 1936 Ryndine a effectué à la station expérimentale de Soukhoumi ses premiers essais de culture à double étage, il ne se doutait guère des résultats pratiques considérables auxquels ils aboutiraient. Parmi les avantages de la culture à double étage, on doit tout d'abord mentionner l'extraordinaire résistance au froid qu'acquièrent le citronnier et l'oranger greffés dans la couronne du mandarinier, transformée en une sorte de porte-greffe multiple.

A ce sujet, Ryndine signale le cas suivant. Dans la région d'Adler (ville du littoral située entre Soukhoumi et Sotchi), lors d'un froid de -8,5 °C qui s'est maintenu pendant 30 h, les citronniers greffés sur Trifoliata et cultivés en pleine terre avec la couronne normale ont gelé jusqu'au collet. Alors que les citronniers greffés dans la couronne des mandariniers ont supporté cet abaissement prolongé de la température sans en souffrir.

D'autre part, au cours de l'hiver 1941-1942, qui fut particulièrement rigoureux dans cette région, le citronnier « d'étage » a été à peine touché par les gelées, tandis que les citronniers sous forme rampante (forme sous laquelle le citronnier présente pourtant le maximum de résistance au froid) ont complètement péri. La méthode de Ryndine permet par conséquent la culture du citronnier et de l'oranger dans les régions où le climat ne rendait possible que celle du mandarinier.

La « culture à double étage » procure plusieurs autres avatages. Le développement des greffons est très rapide, ils commencent à fructifier dès la deuxième année. La fructification de l'étage greffé est plus abondante qu'en culture ordinaire : dès la troisième année, chaque greffon peut produire jusqu'à 32 fruits ; sur les greffons de 6 ans, on a récolté jusqu'à 166 fruits. Le citronnier Meyer fournit dans ces conditions, dès la quatrième année, 90 fruits par greffon. Les fruits obtenus sur les greffons de l'étage sont plus gros et plus beaux que ceux qui proviennent de mêmes variétés cultivées selon les méthodes classiques. Les fruits de citronnier et d'oranger cultivés en étage sur le mandarinier arrivent à maturité beaucoup plus rapidement qu'en culture classique.

Nous avons vu dans la première partie de l'article que le verger soviétique d'agrumes se compose pour plus de moitié de mandariniers (62,2 % en 1945, 55,9 % à l'heure actuelle). Or, le consommateur soviétique recherche surtout les citrons et les oranges, dont la production a été jusqu'à présent freinée par leur moindre résistance au froid qui empêchait l'extension de leur culture. La culture à double étage permet en deux ou trois ans d'accroître la production de ces fruits, sans modifier pour cela la composition relative du verger, et sans supprimer entièrement la production des mandarines, laquelle est assurée par l'étage inférieur des « arbres mixtes ».  

Elle permet d'autre part l'extension des variétés d'agrumes particulièrement appréciées, orangers de Jaffa et de Valencia, qui, étant très fragiles, ne pouvaient jusqu'à présent être cultivés que dans quelques endroits au climat privilégié, en Adjarie. Enfin, si des froids exceptionnels venaient à détruire l'étage greffé de la couronne, c'est-à-dire les citronniers ou les orangers, cet étage pourrait être reconstitué en deux ou trois ans. D'après Ryndine, cela ne s'est pas produit depuis 1936, malgré l'hiver exceptionnellement froid de 1941-1942.  

La méthode de Ryndine a eu un grand succès parmi les kolkhoziens du littoral qui la pratiquent actuellement sur des centaines d'hectares. Voici quelques détails techniques concernant la culture à « double étage ».

On choisit comme porte-greffe, sur les mandariniers âgés de cinq ans au minimum et de préférence de faible productivité, des jeunes pousses vigoureuses ayant un doigt d'épaisseur. Le nombre des greffons pour un mandarinier ne doit pas dépasser trois. Un de ces greffons doit être placé sur une branche du centre de la couronne. Son développement fournira l'essentiel de la couronne du deuxième étage.

La greffe se fait en écusson qui doit être obligatoirement placé sur la face supérieure de la branche. La greffe doit se pratiquer pendant la saison de la plus intense circulation de la sève (fin mai - début juin dans les subtropiques soviétiques). Les écussons doivent être fortement serrés, surtout dans le cas de l'oranger. Dès que la greffe a pris, on taille en sifflet la branche porteuse à une distance convenable et on mastique la plaie. Le sifflet est supprimé lorsque le greffon est suffisamment développé.

Au cours de la première année, on arrête, en pinçant, le développement des greffons de façon qu'ils ne dépassent pas 1,5 - 2 m de longueur. Dans le façonnage de la couronne du deuxième étage, on cherche à utiliser au maximum l'espace au-dessus de la couronne du mandarinier et à éviter que cet étage ombrage les branches latérales du mandarinier. C'est seulement dans ces conditions que l'on obtient la récolte abondante sur chaque étage de la couronne mixte.

 

CONCLUSION

 

L'agrumiculture soviétique constitue une des réalisations agricoles les plus spectaculaires de la Russie nouvelle. Cette réalisation a demandé une somme considérable de patientes recherches, de labeur et d'ingéniosité. La rigueur du climat local a rendu pratiquement inutilisable l'expérience agrumicole étrangère pour les citrologues russes. Et, pour « apprivoiser » les agrumes, il leur a fallu créer des variétés nouvelles, modifier l'aspect même des arbres producteurs, imaginer des techniques culturales inédites.

A l'heure actuelle, cet « apprivoisement » semble être chose acquise puisque le citronnier - agrume particulièrement sensible au froid - arrive à fructifier normalement, grâce à des techniques culturales spéciales, dans les régions où l'on enregistre en hiver des températures de l'ordre de - 30 °C. Il a été rendu possible grâce à l'existence d'un vaste réseau d'établissements de recherche, d'un désir de performances agricoles, ainsi que d'un encouragement particulier des milieux dirigeants.

Il est évident qu'en régime de libre échange l'agrumiculture soviétique ne serait pas rentable, surtout si l'on tient compte des investissements et de l'énorme travail de recherches qu'elle a nécessité à ses débuts. Dans les conditions particulières de l'économie soviétique, qui étend l'autarcie jusqu'au domaine des cultures subtropicales, elle se révèle cependant très profitable et les kolkhozes agrumicoles millionnaires se comptent actuellement par dizaines.

S'étant développée dans des conditions économiques artificielles, à l'abri de toute concurrence étrangère, l'agrumiculture soviétique a perfectionné ses méthodes culturales et abaissé ses prix de revient à tel point qu'à l'heure actuelle elle serait même capable d'affronter cette concurrence. Sa production approche maintenant celle de l'Afrique du Nord, et son dynamisme lui assure un brillant avenir.

 

Voir la première partie de cet article, qui est parue la même année dans le volume 6, n° 2, pages 43 à 54.

 

 

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