Les fruitiers rares |
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Article publié en 2014. |
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Etrange phénomène sur un figuier
Selon le plan suivant : description générale du phénomène, informations sur le figuier concerné, observation détaillée des figues malformées, observation des fruits sortant du sycone, tentative d'explication du phénomène, apparition de la malformation de la figue, atteinte de la maturité par les petites figues malformées, tentative d'identification variétale.
J'habite Toulouse, sur d'anciennes terres maraîchères au nord de la ville où chaque parcelle possède un ou plusieurs figuiers. A la fin août de cette année, j'ai constaté un étrange phénomène affectant un de mes figuiers. Un nombre important de figues sont porteuses d'une curieuse malformation : le sycone n'est pas complètement fermé et laisse apparaître à ciel ouvert l'intérieur de la figue.
Ficus carica : figue incomplètement fermée.
DESCRIPTION GÉNÉRALE DU PHÉNOMENE
Un pourcentage relativement important de figues est concerné. Difficile de le déterminer précisément. Je n'ai pu observer que les branches à ma portée. La détermination du nombre de figues touchées est d'autant moins possible qu'il faut disputer la fructification aux oiseaux. Les figues incomplètement formées sont réparties sur la totalité de l'arbre, des branches les plus basses aux branches les plus hautes. Sur certaines branches, on en compte trois ou quatre sur une quinzaine de fruits. Ficus carica : figues incomplètement fermées.
Ficus carica : figue très largement ouverte. Les figues concernées par ce phénomène ne semblent pas affectées dans leur développement. Elles atteignent la maturité comme les figues complètement fermées. Ficus carica : figue avec ouverture anormale du sycone parvenue à maturité. Ceci, de façon assez surprenante, même quand la malformation est importante. Ficus carica : figue avec sycone grand ouvert parvenue à maturité. J’ai trouvé ce phénomène étonnant et j’ai cherché longuement une explication sur Internet avant de trouver un article de François Drouet relatif à une observation de fleurs de figuier à ciel ouvert. J'ai donc écrit à François Drouet en joignant quelques photographies et en lui demandant ce qu'il pensait du phénomène que j'observais. Il m'a répondu que mon texte et mes photographies décrivent un phénomène différent de celui qu'il a observé. La malformation affecte des figues seules à l'aisselle d'une feuille et un nombre élevé de figues sont concernées sur l’arbre, alors que, dans son article, il s'agit d’un groupe de trois figues à l'aisselle d'une même feuille, avec une disposition inhabituelle et qui constitue le seul cas observé sur l’arbre. Autre différence soulignée par François Drouet : dans son cas, il s'agit de toutes petites figues immatures alors que j'observe la malformation sur des figues développées et, souvent, parvenues à maturité. Toutefois, il note un point commun : dans les deux phénomènes observés, l'ouverture du sycone conduit à laisser les fleurs et les fruits (fleurs transformées) se développer à ciel ouvert. Et, dans les deux cas, les fleurs et les fruits paraissent surdimensionnés, comme si l'absence de paroi pour les contenir avait favorisé un développement plus libre et donc plus important que celui des fleurs et fruits contraints à un espace réduit à l'intérieur d'un sycone parfait.
INFORMATIONS SUR LE FIGUIER CONCERNÉ
Je ne connais pas l'origine, ni la variété de mon figuier. Il était déjà grand lorsque nous avons acheté la propriété fin 2006. L'arbre est située en fond de parcelle, à cheval sur une clôture et en compétition avec un cognassier côté sud, mais également avec un sureau qui est plus grand que lui. Sur son côté droit, certaines branches partent presque à l'horizontale. Ficus carica : figuier présentant l'étrange phénomène. Sa hauteur est d'environ 5 m et sa circonférence est de l'ordre de 7 m. En me fiant à la longueur des nouvelles pousses annuelles, je qualifie ce figuier de très vigoureux. Il produit peu de bois mort comparé à mes autres figuiers. Il forme une cépée composée de huit troncs Ficus carica : cépée de figuier composée de huit troncs. Après arrachage du lierre enchevêtré qui cachait la base de l'arbre, j'ai pu mesurer le plus gros des troncs : 18 cm de diamètre (soit 57 cm de circonférence) à 0,40 m du sol. Il y a quelques années, sous environ un tiers de la ramure, un tas de compost (tontes, mauvaises herbes...) avait été installé. Il en est resté 30 cm de terreau. Ficus carica : base d'un figuier en cépée. Au vu des photographies et d'après les mesures que je lui ai communiquées, François Drouet a estimé l'âge de mon figuier à 20 ans, en prenant en compte qu'il s'agit d'un individu de pousse vigoureuse. Je me suis également interrogée sur l'éventuel caractère récurrent du phénomène constaté cette année et sur l'apparition éventuelle de ce phénomène sur mes autres figuiers. Dans notre jardin, nous avons trois figuiers. C'est le seul à présenter des fruits incomplètement formés. Ce figuier produit au printemps de grosses figues vertes qui n’arrivent pas à maturité (elles restent cartonneuses à l’intérieur). La récolte en fin d’été est régulière et généralement très généreuse. J'avais déjà observé ce phénomène sur des figues vertes de façon épisodique les années précédentes, sans y prêter attention. Cette année, je me suis vraiment interrogée à la vue du nombre élevé de figues malformées et après avoir fait le constat étonnant qu'elles parvenaient à maturité.
OBSERVATION DETAILLÉE DES FIGUES MALFORMÉES
François Drouet m'a demandé un lot supplémentaire de photographies en haute résolution afin de parfaire l'observation des figues malformées. J'ai donc photographié à nouveau longuement mon arbre, malgré un appareil photographique aux faibles performances et ma difficulté à observer les figues en hauteur. Mais ce ne fut pas sans un certain plaisir... En lui envoyant le nouveau lot de photographies, j'ai d'ailleurs remercié François Drouet de m'avoir donné l'occasion d'observer de si près mon figuier et d'entrer en quelque sorte dans l'intimité de celui-ci. Pendant les huit années précédentes, je ne l'avais jamais regardé ainsi. Aujourd'hui, il me semble que c'est un compagnon plus proche qui attend ma visite au fond du jardin... Après avoir soigneusement étudié les nouvelles photographies avec le zoom d'un logiciel spécialisé, François Drouet m'a fait part des observations suivantes. Dans la plupart des cas, la figue incomplètement formée présente une ouverture du sycone ovale disposée dans le sens de la longueur, plus ou moins élargie et dont une des extrémités est toujours assez proche de l'ostiole. Ficus carica : ouverture anormale du sycone et infrutescence à ciel ouvert. L'ouverture du sycone présente un pourtour marron noirâtre, large et desséché, d'aspect durci et rugueux. Ficus carica : pourtour de l'ouverture du sycone des figues malformées. On remarque aussi que le pourtour de l'ouverture anormale est souvent évasé. Un rebord apparaît sur toute la circonférence de l'ouverture, qui est cintrée, signe d'une tension. Ficus carica : ouverture anormale du sycone avec pourtour cintré. Dans certains cas, d'ailleurs, on note que le pourtour a été rompu par cette tension. Ficus carica : ouverture anormale du sycone avec pourtour cintré et rompu. Sur certaines figues, la malformation prend des formes différentes d'un ovale régulier. Le pourtour de l'ouverture est irrégulier et singulièrement élargi par endroits d'une épaisseur d'aspect liégeux.
Ficus carica : ouverture anormale du sycone avec pourtour irrégulier. La taille de l'ouverture anormale du sycone est variable, mais toujours importante et, dans certains cas, le sycone est ouvert sur près de la moitié du volume normal. Ficus carica : sycone très largement ouvert, mais ostiole bien formé. Malgré l'ampleur de la malformation, l'ostiole est le plus souvent très bien formé. Mais, on observe parfois que l'ostiole semble incomplètement formé. Ficus carica : sycone ouvert pratiquement sur la moitié, avec ostiole incomplètement formé. En regardant de plus près les cas d'ostiole incomplètement formé, on observe que les écailles ostiolaires apparaissent quand même nettement au niveau de l'apex. Ficus carica : sycone ouvert sur la moitié, avec ostiole incomplètement formé Autre observation concernant l'ostiole : sur certaines figues malformées, la surface de la zone à proximité de l'ostiole est irrégulière et présente des particularités. Ficus carica : ouverture anormale du sycone avec surface irrégulière à proximité de l'ostiole Elle apparaît durcie et craquelée, avec des plaques grisâtres. On remarque un relief durci de type écailleux au départ de l'ouverture anormale, entre l'ostiole et celle-ci. Ficus carica : ouverture anormale du sycone et zone de l'ostiole avec particularités. Sur une des figues malformées, cette zone tourmentée à l'extrémité de l'ouverture anormale se trouve assez loin de l'ostiole. Ficus carica : ouverture anormale du sycone avec pourtour irrégulier. En regardant de plus près, on constate la présence d'un relief écailleux aux deux points de jonction du pourtour de l'ouverture avec la zone craquelée et durcie. Le relief semble faire le tour de cette dernière en s'adoucissant. Ficus carica : ouverture anormale du sycone avec déformation et craquelures en extrémité de l'ouverture.
OBSERVATION DES FRUITS SORTANT DU SYCONE
François Drouet souligne aussi le caractère spectaculaire des fruits (fleurs transformées) mis à ciel ouvert par l'ouverture anormale du sycone et m'a fait parvenir les observations suivantes. La première impression est que les fruits sont surdimensionnés, comme si l'absence de paroi pour les contenir avait favorisé un développement plus libre et donc plus important que celui des fleurs et fruits contraints à un espace réduit à l'intérieur d'un sycone parfait. Au stade de développement des figues observées, ce que l'on voit, ce ne sont pas des fleurs, mais des fruits. L'ensemble des fruits attachés à la paroi intérieure du sycone par un pédoncule assez long constituent une infrutescence, qui a remplacé l'inflorescence initiale. Chaque fruit est une drupe (avec un noyau au sens botanique, appelé communément graine) résultant d'une fleur. Le fruit a conservé la structure générale de la fleur femelle, toutefois légèrement déformée et nettement ramollie. La couleur est passée du blanc (fleurs) au jaune rougeâtre (fruits). Si les fleurs n'ont pas été fécondées, ce qui est vraisemblable dans notre cas (absence de caprifiguier porteur de blastophages à proximité), les graines, qui se sont développées de façon parthénocarpique, ne contiennent pas d'embryon et sont donc stériles (pas de germination possible). Ficus carica : ouverture anormale du sycone et infrutescence à ciel ouvert. Sur la photographie ci-dessus, on distingue nettement les fruits, qui ont l'apparence d'oiseaux à long cou car ils conservent la structure générale de la fleur femelle, bien que ramollis et légèrement déformés. Les fleurs mâles (pourvues de filets mais dépourvues d'anthères), qui ne se sont pas, bien évidemment, transformées en fruits, sont situées dans la zone de l'ostiole. Elles sont impossibles à voir car l'ouverture anormale se situe généralement trop loin de l'ostiole et elles sont de toute façon très difficilement identifiables dans la masse ramollie de l'infrutescence à maturité. La forme d'oiseau du fruit est donnée par l'ovaire gonflé (contenant une graine) qui porte un style allongé terminé par la zone noirâtre des stigmates et qui s'est recourbé. Ficus carica : détail de l'infrutescence à ciel ouvert (ouverture anormale du sycone). Regardons sous un autre angle. Ficus carica : ouverture du sycone et infrutescence à ciel ouvert. L'angle de vue permet de reconnaître plus nettement la structure type de la fleur de figuier femelle dont résulte le fruit. Ficus carica : infrutescence à ciel ouvert (ouverture anormale du sycone).
Ficus carica : détail de fruits à ciel ouvert (ouverture anormale du sycone). Sur le détail photographique ci-dessus, on distingue nettement pour les deux fruits du haut la partie terminale du pédoncule avec les sépales ouverts qui entourent l'ovaire gonflé contenant une graine et qui porte un style allongé et terminé par la zone noire des stigmates (deux stigmates, ici non visibles individuellement). Dans de rares cas, l'observation attentive des agrandissements photographiques permet de voir entièrement la structure de la fleur femelle du figuier, malgré la transformation de celle-ci en fruit. Ficus carica : infrutescence à ciel ouvert (ouverture anormale du sycone). Sur la photographie ci-dessus, sur le rebord de l'ouverture, au milieu, on peut visualiser deux fruits avec leur pédoncule, qui ont conservé une structure très proche de la fleur femelle longistylée (chaque fruit est une évolution légère de la fleur qui lui a donné naissance). Un à l'horizontale, penché vers l'extérieur de l'ouverture et de couleur jaune et rouge ; un autre à la verticale,
de couleur jaune et légèrement incliné vers la gauche dans sa partie supérieure. Les pédoncules font un angle de presque 90 degrés l'un par rapport à l'autre. Observons de plus près. Ficus carica : détail de fruits à ciel ouvert (ouverture anormale du sycone). Sur la photographie ci-dessus, on distingue nettement deux fruits avec leur pédoncule. L'un vertical, à gauche, et l'autre horizontal, au bas de la photographie. Le fruit vertical montre un pédoncule charnu jaune verdâtre terminé par des sépales qui entourent un ovaire rond gonflé contenant une graine. Certains des sépales (à gauche, rougeâtres) sont décollés de l'ovaire. D'autres (au centre,
blanchâtre, et à droite, rougeâtre) sont collés à l'ovaire. L'ovaire se prolonge par un style allongé incliné vers la gauche. Le style se termine par une partie bifide avec les restes de deux stigmates noirs. Il n'existe pas de pétales dans la fleur du figuier. Le fruit horizontal montre un pédoncule charnu jaune lavé de rouge, des sépales rougeâtres portant de façon lâche un ovaire sphérique, beaucoup plus petit que celui du fruit précédent, avec son style terminé par la zone noire des stigmates.
Seule l'attache de chacun des deux pédoncules sur la paroi interne du sycone n'est pas visible. Dans une autre figue ouverte de façon anormale, photographiée sous un autre angle et avec une lumière différente, on peut observer quelques fruits en entier.
Ficus carica : fruits mis à ciel ouvert par une ouverture anormale du sycone. Sur la photographie ci-dessus, on voit à gauche une petite partie du pourtour desséché de l'ouverture anormale du sycone. Dans cette zone, on distingue nettement un fruit dont le pédoncule est incliné à 45 degrés vers la gauche et qui montre les différentes parties de la fleur femelle dont il résulte. On voit le point d'insertion du pédoncule sur la paroi interne blanche du sycone. Le pédoncule est blanc dans sa partie basale et vert dans sa partie terminale. Il se prolonge par des sépales, dont quatre sont visibles (trois rosâtres et un blanchâtre), qui entourent un ovaire gonflé sphérique et rosâtre contenant une graine. La fleur femelle du figuier présente cinq sépales et n'a pas de pétales. L'ovaire se prolonge par un style rosâtre, fin et recourbé vers l'arrière de la photographie. Un oeil exercé perçoit la zone noirâtre des stigmates en fin du style. A droite de ce fruit, après un espace laissé vraisemblablement par deux fruits qui sont tombés (il semble qu'on aperçoive les empreintes des pédoncules...), on remarque un groupe de trois fruits à la verticale. En les observant, ainsi que les autres fruits de la photographie, on reconnaîtra plus ou moins bien les parties de la structure de la fleur femelle dont résulte le fruit.
TENTATIVE D'EXPLICATION DU PHÉNOMÈNE
Après la phase d'observation des figues malformées, François Drouet et moi avons essayé d'expliquer le curieux phénomène.L'aspect du pourtour de l'ouverture des sycones a rappelé à François Drouet une mésaventure avec un de ses grenadiers, dans ses plantations en campagne. Celui-ci, un sujet en énorme touffe, portait plusieurs dizaines de grenades comme tous les ans. Mais, cette année là, juste après que les grenades aient commencé à prendre leur teinte de maturité, en quelques jours elles se sont toutes retrouvées vidées de leur pulpe, sans exceptions, tout en continuant à pendre sur l'arbre. A l'examen des grenades vides, François Drouet a noté que l'ouverture des fruits faisait le diamètre de celles-ci et que le pourtour de l'ouverture était desséché et comme dentelé. Des rongeurs agissant la nuit... Après des mesures adéquates au sein de la touffe, le phénomène ne s'est jamais plus reproduit. Mais des rongeurs sur mon figuier auraient mangé l'intérieur des figues et, d'autre part, les parties rongées n'auraient pas eu un pourtour régulier comme celui que l'on observe. De même, s'il s'agissait de dégâts d'oiseaux, les fruits à l'intérieur du sycone n'auraient pas été épargnés. Mais l'explication qui vient immédiatement à l'esprit est un banal éclatement des figues dû à un excès d'eau (fortes pluies, en particulier). Cet printemps et cet été, la pluviométrie dans ma région a été nettement supérieure aux normales saisonnières. Je l'ai vérifié sur les tableaux statistiques de Météo-France. Selon François Drouet, cette hypothèse, qu'il a envisagée de façon quasi immédiate lui aussi, ne résiste pas à une observation attentive. En effet, dans le cas d'éclatement le sycone s'ouvre au niveau de l'ostiole comme les doigts de la main. Mais il reste complet : les morceaux de sycone éclaté reconstituent entièrement le sycone si on les referme. Dans le phénomène que nous observons, il manque une partie du sycone, parfois la moitié de celui-ci. . Ficus carica : figue éclatée (excès d'eau). Dans le cas d'éclatement, on observe aussi que le pourtour des morceaux résultant de l'éclatement est d'aspect normal et de couleur blanche sur l'épaisseur. Il est "frais". C'est le signe d'une rupture brutale et récenteDans le phénomène observé, le pourtour de l'ouverture du sycone est noirâtre, durci et desséché. Il est "âgé". Cela dénote qu'il ne s'agit pas d'une déchirure brusque mais d'un agrandissement progressif sur une longue période. François Drouet fait une remarque supplémentaire qui va dans le sens de l'élimination de l'hypothèse d'un banal éclatement. Chez le figuier, c'est l’excès d’eau qui explique le plus souvent l’éclatement des figues ayant atteint un certain stade de maturité (dans certaines zones géographiques, ce peut être aussi un excès de pollinisation). L'éclatement ne concerne pas que les figues mûres ou proches de l'être. Selon la variété et en cas de fortes pluies, il peut arriver aussi que des figues vertes de bonne dimension éclatent ou, plus rarement, se fissurent. Mais, les figues qui ont éclaté par excès d'eau ne tiennent pas sur l'arbre. Elles chutent rapidement (deux ou trois jours) après avoir éclaté. De même, les figues fissurées ne continuent pas leur évolution. Elles pourrissent par la fissure. Alors, si ce n'est pas un éclatement dû à un excès d'eau, comment expliquer le phénomène ? François Drouet avance l’hypothèse suivante : une micro-fissuration initiale du sycone, malformation d'origine génétique, se transforme en une ouverture qui s'allonge et s'élargit progressivement en ovale au fur et à mesure du développement de la figue (avec épaississement et dessèchement des bords de l’ouverture). Le processus se termine pour certaines figues par une ouverture quasi complète.Dans certains cas, la fissure prend naissance très près de l'ostiole et s’étend dans le sens de la longueur jusqu'à celui-ci. Elle l'élargit progressivement jusqu’à ce qu'il présente deux moitiés formant un angle de 180 degrés l’une par rapport à l’autre. L'ostiole paraît alors incomplètement formé. Pour ma part, j'ai fait une observation qui va dans le sens de cette hypothèse générale. Lorsque j'ai réalisé une nouvelle série de photographies, le 3 septembre, j'ai eu la nette impression qu'il y avait sur l'arbre plus de figues malformées que lors de la précédente séance de prise de photographies, effectuée une semaine auparavant... Je pense que c'est l'évolution rapide de la malformation en phase proche de la maturité sur un nombre élevé de figues qui a rendu plus visible le phénomène de malformation au milieu du feuillage. J'ai fait une autre observation, complémentaire de la précédente : j'ai noté l'apparition de déchirures de couleur blanche plus ou moins grandes sur le pourtour de l'ouverture de certaines figues malformées ayant atteint la maturité. Ces déchirures sont dues à une tension qui n'a pas pu être absorbée par un accroissement (en longueur et/ou en largeur) de l'ouverture du sycone et qui provoque une rupture dans le pourtour de celle-ci. Il s'agit du processus normal d'accroissement de volume de la figue à l'approche de la maturité. Les figues de ce figuier ont en effet une peau fine et fragile à maturité. Elles coulent très vite. Ficus carica : figue mûre avec deux déchirures latérales sur le pourtour de la malformation. François Drouet pense que la phase de maturité augmente le volume global de la figue malformée, mais qu'elle n'accroît pas l'ouverture anormale du sycone de façon significative. Il m'a fourni les précisions suivantes sur le processus d'évolution du volume du sycone (Source : Le figuier, Jacques Vidaud et al., Editions CTIFL, 1997). Le début du développement est marqué par l'apparition visible de la figue entre les deux bractées. Le diamètre du sycone mesure alors 2 millimètres. Puis, la petite figue verte se développe pendant 6 à 7 semaines,et le sycone atteint un diamètre de 2 à 4 centimètres, stade qui constitue un palier assez long dans le développement du sycone, dit palier de maturation. Le début de ce palier correspond à la nouaison : la figue tient sur le rameau et les fleurs femelles commencent à se transformer en fruits à l'intérieur du sycone (par suite de fécondation ou par parthénocarpie). Pendant le palier de maturation, qui dure environ 6 semaines, le volume de la figue, dont les fruits mûrissent à l'intérieur bien que son extérieur reste vert, demeure à peu près stable (très légère augmentation du diamètre du sycone). En fin de ce palier, le diamètre du sycone augmente brusquement en quelques jours de 10 à 20 %, alors que la figue prend sa couleur de maturité (véraison). Pour François Drouet, l'ouverture maximale du sycone des figues malformées est atteinte au stade du palier de maturation. En effet, pendant le palier de maturation, le volume du sycone n'évoluant pratiquement pas, l'ouverture anormale ne s'agrandit pas. A l'approche de la maturité, la peau et le pourtour de l'ouverture se ramollissent, et, lors de l'accroissement brusque de volume en quelques jours, l'ouverture anormale du sycone se distend. Mais, selon François Drouet, l'augmentation de la taille de l'ouverture est limitée par l'apparition de déchirures sur son pourtour et par l'intensification du débordement de l'infrutescence, en hauteur et sur les bords, qui était déjà marqué sur les figues vertes au début du palier de maturation. François Drouet a étudié les déchirures. Il constate que, le plus souvent, elles sont en sens contraire de la longueur de l’ouverture. Elles s'effectuent dans la largeur. Ficus carica : figue mûre avec deux déchirures latérales sur le pourtour de la malformation. Dans certains cas, lorsque l'ouverture du sycone est proche de 180 degrés, la déchirure se produit au niveau de l'ostiole déjà distendu, voire fendu à l'intérieur, par l'ampleur de la malformation. Ficus carica : figue mûre avec une déchirure au niveau de l'ostiole. En regardant de plus près, on distingue bien les écailles ostiolaires réparties de part et d'autre de la déchirure.
Ficus carica : figue mûre avec une déchirure au niveau de l'ostiole. Sur la photographie ci-dessus, le pourtour de l'ouverture anormale du sycone s'est déchiré au niveau de l'ostiole. La déchirure est de couleur blanche car elle fait apparaître la paroi interne du sycone où se rattachent les pédoncules des fruits. On observe d'ailleurs de nombreux pédoncules blanchâtres de fruits, mis à nu au niveau de la déchirure. Si l'on regarde attentivement les deux endroits où la déchirure a débuté (en bas, au centre, et en haut, à droite), on y distingue des écailles ostiolaires de couleur rose violacé, certaines verdâtres. Elles sont placées de part et d'autre de la déchirure et font la jonction entre celle-ci et le départ du pourtour épais et desséché de l'ouverture du sycone. Ceci traduit que la déchirure a divisé en deux l'ostiole, qui était déjà distendu, voire fendu à l'intérieur, par l'ouverture à 180 degrés du sycone.
APPARITION DE LA MALFORMATION DE LA FIGUE
A ce stade de la réflexion, il manquait cependant des informations sur l'apparition de la malformation. Les figues incomplètement formées le sont-elles dès que la figue commence à se développer, c’est à dire lorsque la figue est à peine visible, surgissant d'entre les deux bractées ? Ou bien le phénomène apparaît-il à un certain degré d’évolution de la figue ? Dans ce dernier cas, approximativement à quelle taille de la figue ? L'investigation s'est alors focalisée sur les figues malformées les plus petites qui étaient à ma portée. La plus petite que j'ai pu trouver et photographier mesure environ 2 cm. A l'examen photographique avec agrandissement, François Drouet formule les remarques suivantes. La petite figue est recourbée et l'ouverture anormale se situe dans la courbure de la petite figue. L'ouverture du sycone est déjà importante, avec des fleurs mises à ciel ouvert. Ces dernières sont blanches. L'ostiole, de couleur rose, paraît complètement formé. Ficus carica : figue de 2 cm avec ouverture anormale du sycone. Vue sous un autre angle, la même petite figue de 2 cm montre que le pourtour de la malformation, de couleur marron noirâtre, est large et desséché, signe que l'ouverture du sycone s'est effectuée de façon très progressive, au fur et à mesure du développement de la figue. François Drouet rappelle que pour atteindre cette taille de 2 cm, la figue a mis 6 à 7 semaines et que ce stade constitue le début du palier de maturation. Ficus carica : figue de 2 cm avec ouverture anormale du sycone. En regardant de plus près, on constate que l'ostiole rougeâtre est bien formé en surface, mais qu'il a été fendu à l'intérieur par l'agrandissement de l'ouverture du sycone au creux de la courbure lors du développement de la figue. Ficus carica : figue de 2 cm avec ouverture anormale du sycone. La petite taille des fleurs dans la partie opposée à l'ostiole semble indiquer que dans cette zone elles n'ont pas encore engagé leur transformation en fruits. Les fleurs situées de part et d'autre de l'ostiole sont beaucoup plus développées, ce qui indiquerait
leur transformation en fruits. La couleur blanchâtre des fleurs et des fruits traduit en tout état de cause que la maturation en serait à son tout début. Un autre angle de vue confirme que l'ostiole est complet en surface, mais fendu à l'intérieur. Ficus carica : figue de 2 cm avec ouverture anormale du sycone. François Drouet suspecte que, dans le cas observé, la micro-fissure du sycone a pris naissance à proximité immédiate du futur ostiole lorsque la figue malformée était entièrement repliée sur elle-même, à son tout début de formation. La fissuration s'est élargie ensuite dans le creux de la courbure de la petite figue, tout au long du développement de celle-ci. L'ostiole s'étant éloigné progressivement du point de départ, donc du début de la fissure, au fur et à mesure du développement et du redressement de la figue. Mais il n'a trouvé aucune information dans sa bibliographie personnelle, ou sur Internet (anglais, français, italien), qui confirme ses hypothèses. Pour parfaire l'explication du phénomène observé sur mon figuier, j'ai pensé qu'il serait intéressant d’avoir des photographies de figues vertes malformées encore plus petites. Je suis revenue une fin d'après-midi observer les figues et j'ai trouvé une toute petite figue que je n'avais pas vue précédemment, qui m'a paru singulière. Elle présente une excroissance au niveau de l'apex et je me demande si cette excroissance préfigure la malformation des figues plus développées. Ficus carica : figue en début de formation présentant une excroissance au niveau de l'apex.
Ficus carica : figue en début de formation présentant une excroissance au niveau de l'apex. François Drouet ne se prononce pas, mais il note surtout que la toute petite figue a une forme anormale : elle est recourbée. Je vais essayer de suivre le mieux possible l'évolution de cette toute petite figue afin de déterminer si l'excroissance au niveau de l'apex est le point de départ de l'ouverture anormale du sycone. J'ai retrouvé des photographies de petites figues vertes prises le 3 juillet 2010 sur le même figuier, parmi lesquelles deux montrent des anomalies. A l'époque, je n'avais pas relevé ces anomalies, mais aujourd'hui elles me paraissent à prendre en compte dans la réflexion sur le phénomène observé sur mon figuier. La première photographie montre qu'une toute petite figue présente une zone noire au niveau de l'apex, où se forme l'ostiole, et qu'une autre figue en formation, plus grande, présente une tache noire à proximité de l'apex, sans qu'il soit possible de dire si l'ostiole est concerné. Ficus carica : figues en formation, dont deux avec zones noirâtres (figues les plus basses). En ce qui concerne l'aspect noirâtre au niveau de l'ostiole, François Drouet m'indique que cette anomalie se rencontre aussi sur d'autres variétés de figuier et qu'il lui semble que les figues concernées tombent systématiquement alors qu'elles sont de très petite taille. En ce qui concerne la zone noirâtre de la figue du dessous, il remarque par un agrandissement de la photographie qu'elle paraît durcie et craquelée. Cette zone rappelle celle que l'on peut observer sur certaines figues malformées de plus grande taille (voir plus haut dans l'article). Ficus carica : figues en formation avec zones noirâtres au niveau de l'ostiole ou à sa proximité. La seconde photographie que j'ai retrouvée concerne une figue fleur qui présente un sillon de surface blanchâtre rugueux partant de l'ostiole, qui semble préfacer une fissure qui ne s'est pas concrétisée. Ficus carica : figue fleur présentant une sillon de surface blanchâtre partant de l'ostiole. François Drouet m'indique que la présence de sillons de surface anormaux peut être observée sur des figues de la plupart des variétés qu'il cultive. Il en est de même pour la présence de zones durcies et craquelées en partie basse de la figue. Il ne sait pas si ces anomalies peuvent être rapprochées du phénomène qui affecte mon figuier, qu'il n'a jamais constaté dans sa collection de figuiers. A titre d'exemple, il m'a transmis une photographie de figues de la variété Bellone (unifère), qui montre des figues mûres présentant ces anomalies. Sur la photographie ci-dessous, on peut noter que la figue en bas à gauche présente un sillon longitudinal tourmenté important et que la figue la plus à droite présente une zone de surface durcie et craquelée assez proche de l'ostiole. Ficus carica : figues mûres de la variété Bellone (unifère).
ATTEINTE DE LA MATURITÉ PAR LES PETITES FIGUES MALFORMÉES
En recherchant les plus petites figues malformées, j'ai été surprise de constater l'ampleur de la malformation pour certaines d'entre elles. Une autre petite figue, plus grande que la précédente, 3 cm environ, présente une ouverture tellement large qu'elle ressemble à une figue que l'on aurait partagée en deux. Ficus carica : figue de 3 cm avec très large ouverture du sycone.
Ficus carica : figue de 3 cm avec très large ouverture du sycone. J'ai été encore plus surprise en découvrant que les petites figues malformées arrivaient à maturité comme les grosses... J'ai remarqué en effet sur une autre branche une figue malformée d'une taille de seulement 2 cm qui en était au stade de la surmaturité. Ficus carica : figue de 2 cm avec ouverture du sycone à 180 degrés, en surmaturité.
Ficus carica : figue de 2 cm avec ouverture du sycone à 180 degrés, en surmaturité.
Ficus carica : figue de 2 cm avec ouverture du sycone à 180 degrés, en surmaturité. Pour François Drouet, l'arrivée à maturité des figues malformées de petite taille n'est pas étonnante. Il l'explique par le fait que ces figues de 2 à 3 cm ont la taille du stade de début du palier de maturation, qu'elles ont atteint après 6 à 7 semaines de développement. Il pense aussi que les petites figues malformées dont l'ouverture anormale est proche de 180 degrés s'accroissent peu en diamètre à l'approche de la maturité, contrairement aux figues complètement fermées. La poussée vers l'extérieur de l'infrutescence via l'ample ouverture anormale conduit à une faible augmentation du diamètre du sycone.
TENTATIVE D'IDENTIFICATION VARIÉTALE
Il est important d'essayer de déterminer la variété du figuier affecté par l'étrange phénomène des figues anormalement ouvertes, afin de rechercher si ce phénomène est un caractère connu de la variété. J'ai fourni à François Drouet une série complémentaire de photographies (feuilles, fruit mûr sur table entier et tranché en deux...) pour tenter une identification variétale. Après étude des photographies, il n'a pas reconnu la variété comme étant l'une de celles qu'il sait reconnaître instantanément. Et ses recherches dans sa bibliographie et sur l'Internet français, anglais et italien ne lui ont pas permis d'identifier la variété. Il s'agit peut-être d'une variété qui était référencée dans la collection de figuiers du professeur Pierre Rivals (1911-1979), qui enseignait l'agronomie à l'université Paul Sabatier de Toulouse. Cette collection était située à Portet-sur-Garonne, à une quinzaine de kilomètres au sud de Toulouse, donc à proximité de chez moi. On pourrait peut-être retrouver la variété au Conservatoire botanique national de Porquerolles (Var), où l'essentiel du matériel végétal de cette collection a été sauvegardé au début des années 80, après le décès de Pierre Rivals. François Drouet a souligné que les caractères de mon figuier sont assez spécifiques pour permettre de reconnaître une variété, notamment la forme du fruit mûr dite "a trottola" (l'explication suit...). Synthèse des caractéristiques de la variété. Les feuilles sont longues, à trois lobes (sinus très profonds) ou cinq lobes (sinus supérieurs très profonds, sinus inférieurs moyens à peu profonds). Ficus carica : feuilles pentalobées.
Ficus carica : feuilles trilobées et pentalobées. Les fruits prennent partiellement une teinte brun violacé à maturité, le fond restant vert jaunâtre. Leur calibre peut être qualifié de moyen. Ficus carica : figues mûres. La forme du fruit à maturité est sphérique aplatie, mais avec une caractéristique que les italiens nomment "a trottola" : il existe une dissymétrie entre les deux faces. Une des deux ne forme pratiquement pas d'angle avec le col et présente donc un arrondi nettement moins important que l'autre face, qui forme un angle marqué avec
le col. Le col est très court. La peau est fine. L'ostiole, de couleur rose violacé, présente des écailles bien visibles en surface. Ficus carica : figues mûres ouvertes. La pulpe à maturité est de couleur ambre, avec une partie rosée dans le bas de la figue. Il existe une cavité au centre de la pulpe, mais de petite dimension. Le placenta est très épais au niveau du col. Ficus carica : intérieur de figues mûres.
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