Les fruitiers rares |
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Article publié en 2017. |
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Association olivier / passiflore ? Pourquoi pas...
Une passiflore fruitière en plein air, même lorsque l'on réside dans les Alpes-Maritimes pas très loin de la mer, cela reste une gageure pour le planteur de fruitiers rares. A moins que l'on fasse preuve d'ingéniosité, ou que le hasard nous aide... Ingéniosité ou hasard, je ne sais lequel des deux termes je puis retenir lorsque j'ai trouvé une solution inattendue pour installer dans mon jardin un plant de passiflore fruitière acheté dans une pépinière proche de chez moi. Le plant présentait de belles feuilles à trois larges lobes de couleur vert soutenu et l'étiquette montrait de magnifiques fleurs rouges mais ne précisait pas l'espèce, mentionnant uniquement "Passiflore". Selon le pépiniériste, il s'agissait d'une passiflore assez rustique, de très grand développement ("monstrueuse", précisait-il...) et qui pouvait être intéressante pour la production de fruits. C'était au printemps 2002, et j'étais beaucoup moins expérimenté qu'aujourd'hui dans la culture des passiflores. Dans mon jardin, prospérait depuis quelques années une Passiflora caerulea qui produisait chaque année ses fruits oranges comestibles, mais à la pulpe peu volumineuse, pratiquement sans jus et insipide. Je mangeais un de ces fruits de temps à autre, par amusement, lors de mes passages près de cette passiflore qui m'offrait par ailleurs une splendide et abondante floraison, conduite sur des fils de fer tendus sur un mur de ma maison. J'avais aussi commencé à élever dans ma véranda un plant de Passiflora quadrangularis, aux tiges étrangement quadrangulaires et aux énormes fruits. Toutefois, sa rusticité me paraissait trop faible pour survivre aux pointes de froid de fin de nuit enregistrées dans mon jardin de façon exceptionnelle au cours de l'hiver, mais se produisant tous les hivers et pouvant parfois atteindre - 5 / - 6 °C. Sans augmentation de l'acuité du froid par le vent, mon jardin étant parfaitement protégé des vents, d'ailleurs faibles dans ma région. Je rêvais d'une passiflore fruitière pouvant prospérer en plein air, dans mon jardin. C'est pourquoi je plaçais tant d'espoir dans cette passiflore à magnifiques fleurs rouges que je venais d'acquérir. J'étais très préoccupé par le support à donner à cette passiflore annoncée comme très vigoureuse, n'ayant pas l'intention de me priver par une taille de contrôle drastique de sa somptueuse floraison (et de son intéressante fructification...). Les haies périphériques de mon jardin me paraissant inadéquates car trop denses et trop basses, je me suis mis à arpenter celui-ci à la recherche d'un endroit favorable, prêt à construire une gigantesque (mais élégante) construction en bois pour accueillir la "monstrueuse" et mystérieuse passiflore. C'est alors que, par hasard, j'ai regardé le tronc d'un de mes oliviers, âgé d'une cinquantaine d'années. Ce tronc était partiellement creux sur pratiquement toute sa hauteur... Il présentait des ouvertures naturelles en fentes plus ou moins longues près du sol et à divers niveaux au-dessus. Une pensée m'a alors immédiatement traversé l'esprit : et si je plantais ma passiflore au pied du tronc creux de l'olivier et que je la fasse remonter vers les branches de l'olivier par l'intérieur du tronc ? Ainsi, sur toute cette hauteur la liane principale serait protégée du froid et du soleil direct... Et le feuillage de l'olivier jouerait le même effet pour les lianes secondaires de la passiflore, si celle-ci réussissait à se développer. Et, bien sûr, les branches de l'olivier, haut de plus de six mètres et large de 4 mètres, pourraient constituer un support naturel et original à la liane au développement "monstrueux" annoncé. Mais je m'interrogeais sur la conséquence éventuelle pour le feuillage de l'olivier et pour la production d'olives. Je me demandais aussi si la passiflore arriverait à fleurir abondamment car en grande partie logée à l'intérieur de l'olivier. Toutefois, considérant que seule l'expérimentation me fournirait les réponses, je n'ai pas hésité longtemps et, dans la demi-heure qui suivit, la passiflore était plantée "dans l'olivier". Plus précisément, j'ai planté la passiflore au ras de la première ouverture du tronc de l'olivier, au milieu des racines dépassant largement du sol, et j'y ai fait entrer l'extrémité du jeune plant. J'ai alors mesuré le tronc de l'olivier : 2,30 m de haut et 1,82 m de circonférence à mi-hauteur. Nous étions au début du printemps et, après un début modeste, le résultat alla bien au-delà de mes espérances. La passiflore, qui mesurait 0,60 m de haut dans son petit container, a bien poussé dans la saison, mais, à ma relative surprise pour une passiflore prétendue extrêmement vigoureuse, elle n' était pas encore ressortie par le haut du tronc creux à la fin de l'été. Ce n'est qu'au cours de la saison suivante que la passiflore est vraiment partie en pousse vigoureuse et a émergé du haut du tronc creux, accrochant par de fortes vrilles assez longues ses lianes secondaires au début des charpentières de l'olivier. Départ du sol de la passiflore et entrée dans le tronc creux de l'olivier. La liane principale de la passiflore était pourvue assez près du sol d'une liane secondaire, qui s'est également fortement développée à l'intérieur du tronc creux de l'olivier. Départ du sol de la passiflore et entrée dans le tronc creux de l'olivier. Profitant des parties ouvertes du tronc de l'olivier pour pouvoir intervenir, j'avais planté quelques cavaliers (pointes en U) le long de la paroi interne du tronc et j'y avais attaché un fil de fer vertical qui m'a permis de tuteurer la passiflore au sein du tronc creux. La passiflore s'est ainsi dirigée sans difficultés vers le haut du tronc, à l'intérieur de celui-ci. En trois saisons, elle s'est fortement épaissie, ne souffrant pas de son enfermement relatif. Je pense même que le tronc a joué un rôle protecteur contre le froid hivernal et qu'il a joué aussi un rôle régulateur de la chaleur l'été, étant en partie ouvert, ce qui permettait à l'air de circuler. Position des lianes maîtresses de la passiflore dans le tronc creux de l'olivier.
Emergence de la passiflore en haut du tronc creux de l'olivier (liane âgée de quatre ans). Dès la seconde saison de pousse, j'ai pu positionner les lianes secondaires de la passiflore sur les premières charpentières de l'olivier au fur et à mesure de leur allongement, puis j'ai laissé la passiflore s'étendre naturellement dans la ramure. Lianes secondaires de la passiflore insérées entres les bases des charpentières de l'olivier. Au terme de quatre saisons, la passiflore avait pratiquement recouvert l'olivier et, à ma grande satisfaction, fleurissait de façon abondante. Passiflore en fleurs ayant pratiquement recouvert un olivier quatre ans après la plantation. L'association de l'olivier et de cette gigantesque passiflore a rapidement provoqué un effet global nettement pleureur. Je pense qu'en sus du poids de la passiflore, l'emprise des puissantes vrilles de celle-ci sur les rameaux de périphérie de l'olivier les a resserrés et les a tirés vers le bas. Effet pleureur de la passiflore en fleurs recouvrant en grande partie l'olivier. Les trois photographies suivantes, prises du côté gauche, de face, et du côté droit, permettent de mesurer l'ampleur de la colonisation de l'olivier par la passiflore. Olivier recouvert par la passiflore, côté gauche.
Olivier recouvert par la passiflore, vu de face.
Olivier recouvert par la passiflore, côté droit. A ma relative surprise, le recouvrement de l'olivier par la passiflore n'a pas entravé significativement la production d'olives. Partie basse, encore visible, du feuillage de l'olivier colonisé par la passiflore.
Fructification sur la partie basse de la ramure de l'olivier, non recouverte par la passiflore. Dès la première floraison de la passiflore, j'ai cherché à en savoir plus sur celle-ci. Les caractères de ma passiflore m'ont orienté vers l'espèce Passiflora manicata. Mais j’ai exclu qu’il s’agisse de l’espèce Passilora manicata botanique, dont la fleur est d’un rouge bien plus profond et possède une couronne violette (celle de ma passiflore étant bleu clair). J'ai pensé à un hybrid, et j'ai pu identifier ma passiflore comme étant vraisemblablement Passiflora ‘Coral Glow’. Il s'agit d'un hybride horticole de Passiflora manicata, à la fleur d’un rouge moins profond mais à la floribondité plus importante, obtenu par P. Worley. J’ai réalisé l’identification à l’aide des deux ouvrages de référence : Passion Flowers de J. Vanderplank, et Passiflora de T. Ulmer / J. M. MacDougal. Les documentations sérieuses et les photographies crédibles que j’ai pu trouver sur Internet vont dans le sens de la même identification. Toutefois, ne connaissant pas l'origine du plant non identifié qui m'a été vendu, je ne puis assurer de façon certaine qu'il s'agit précisément de ce cultivar, reproduit de façon végétative. Il pourrait aussi s'agir d'un hydride issu d'un semis de Passiflora manicata effectué par un multiplicateur peu soucieux de la pureté des espèces ou variétés commercialisées... J’ai noté que P. Worley a obtenu deux autres hybrides de Passiflora manicata : Passiflora ‘Coral Sea’ et Passiflora ‘Mum’s Gate’, moins connus que ‘Coral Glow’, mais qui lui ressemblent. Sur les deux ouvrages de référence, je n’ai pas trouvé de photographies de ces hybrides. Sur Internet, je n’ai pu voir qu’une photographie de ‘Coral Sea’ (qui ne m'a pas convaincu d'opter pour cet hybride plutôt que pour 'Coral Glow'), et je n’en ai pas trouvé pour ‘Mum’s Gate’. Le feuillage de l'hybride de Passiflora manicata ayant colonisé mon olivier est très beau. Les feuilles d'un vert soutenu sont trilobées, avec les lobes larges. Le dessus des feuilles est luisant au soleil. Le feuillage paraît dense vu de loin, mais de près on constate que la couverture par la passiflore est aérée, ce qui explique que la production d'olives ne soit pas considérablement affaiblie. En fait, l'essentiel de la végétation de la passiflore se tient au-dessus du feuillage de l'olivier, sur le pourtour de celui-ci. La passiflore semble posée sur l'olivier. Feuillage de Passiflora manicata hybride recouvrant l'olivier. La floraison rouge est abondante, dense et régulièrement répartie sur l'olivier. Elle est assez étalée, beaucoup de boutons floraux coexistent avec des fleurs épanouies sur les tiges de la passiflore.
Feuillage et fleurs de la passiflore (Passiflora manicata hybride) au sommet de l'olivier.
Effet plongeant de la passiflore sur le pourtour de l'olivier.
Feuillage et fleurs de Passiflora manicata hybride sur le pourtour de l'olivier.
Floraison de Passiflora manicata hybride sur le pourtour de l'olivier. La fleur rouge de grande taille de l'hybride de Passiflora manicata est magnifique. Son pédoncule est assez court, ce qui accentue la densité de la floraison. Boutons floraux et fleurs épanouies de Passiflora manicata hybride sur le dessus du feuillage de l'olivier. Certaines lianes (tiges) de la passiflore sont retombantes, d'autres enserrent horizontalement l'olivier. Boutons floraux et une fleur épanouie de Passiflora manicata hybride à la surface du feuillage de l'olivier. De près, on observe la cohabitation surprenante des fruits de l'olivier et de ceux de la passiflore. Fleurs et fruits de Passiflora manicata hybride recouvrant l'olivier.
Fleurs et fruits de Passiflora manicata hybride recouvrant l'olivier.
Fleur de Passiflora manicata hybride à la surface de l'olivier. La couleur rouge de la fleur de l'hybride de Passiflora manicata que j'ai planté est très plaisante, mais c'est un rouge beaucoup moins profond que celui de l'espèce type botanique, qui présente en outre une couronne violette, celle de l'hybride étant bleu clair. Fleur de Passiflora manicata hybride portée par une tige sur le dessus du feuillage de l'olivier. Au bas du feuillage de l'olivier peu colonisé par la passiflore, les longues tiges de celle-ci retombent verticalement et donnent la fausse impression que le pédoncule des fleurs est très long, comme c'est le cas pour d'autres espèces de passiflores. Mais les pédoncules des fleurs de l'hybride de Passiflora manicata sont assez courts. Fleurs de Passiflora manicata hybride le long de fines lianes retombant au bas du feuillage de l'olivier. Concernant la fructification de mon hybride de Passiflora manicata, la production annuelle est de volume moyen pour une passiflore (quelques dizaines de fruits) et elle est régulière d'une année sur l'autre. Je n'ai pas pratiqué la pollinisation manuelle et je ne sais pas si ce procédé aurait augmenté significativement la récolte. Le fruit de l'hybride de Passiflora manicata est de forme ovoïde nettement allongée. Fruit en formation de Passiflora manicata hybride ayant colonisé l'olivier.
Fruit de Passiflora manicata hybride en cours de développement, jouxtant des olives encore vertes. Les fruits de l'hybride de Passiflora manicata sont de taille moyenne pour des fruits de passiflore. Fruits mûrs de Passiflora manicata hybride ramassés au sol. Ils restent de couleur vert jaunâtre à maturité (pédoncules secs). A maturité avancée, ils présentent des tâches brunes et se fripent. Fruits mûrs de Passiflora manicata hybride ramassés au sol. L'intérieur du fruit mûr est rempli d'une pulpe abondante et juteuse. Intérieur des fruits mûrs de Passiflora manicata hybride. Mais les graines, noires, sont nombreuses et assez grosses. Intérieur des fruits mûrs de Passiflora manicata hybride. Déception : à maturité du fruit, la pulpe conserve une forte acidité, ce qui rend sa consommation désagréable. Ainsi, je n'avais pas atteint pleinement mon objectif d'une passiflore fruitière dans mon jardin, mais je possédais une "oleapassiflora" qui me ravissait, et qui provoquait immanquablement l'étonnement et l'enchantement des visiteurs. L'auteur de l'article (dans son olivier ou dans sa passiflore ?). L'association de l'olivier et de la passiflore a duré plus de quatre ans, mais l'hiver 2006, avec ses froids exceptionnels, a eu raison de la passiflore. Le travail de dégagement de l'olivier au printemps suivant a été assez pénible, mais surtout très triste. A la réflexion, j'aurais peut-être pu sauver la souche, voire la partie basse, de ma passiflore en prenant d'importantes mesures de protection : épais paillis sur le sol au-dessus des racines, bourrage du tronc creux de l'olivier avec du paillis, mise en place de plusieurs épaisseurs de voile d'hivernage autour du tronc de l'olivier, en incluant le départ de la liane du sol, etc. Après la fin de cette expérience, je n'ai pas cherché à replanter le même type d'hybride de Passiflora manicata, en raison de la probabilité d'une fructification trop acide. Je me suis tourné vers l'expérimentation de passiflores fruitières rustiques de faible développement et au feuillage semi-caduque. Je recommande Passiflora 'Jutta', hybride obtenu par H. Wouters, dont le fruit est de petite taille mais possède une pulpe de saveur agréable, sucrée et légèrement parfumée. Assez récemment, je me suis senti à nouveau tenté par une nouvelle expérience d'association de mon olivier avec une passiflore fruitière. Après quelques recherches, j'ai repéré Passiflora 'Mission Dolorès', aux grandes fleurs rouges comme celles de l'hybride de Passiflora manicata. Il s'agit d'un hybride Passiflora parritae x Passiflora antioquiensis), obtenu en 2008 par Carlos Rendon. Il présente de grandes différences avec l'hybride de Passiflora manicata que je possédais, dues aux caractères de Passiflora antioquiensis que l’on retrouve en quasi-totalité chez ‘Mission Dolorès’. Celle -ci’ est nettement moins vigoureuse que ne l'était ma passiflore. Et les lianes sont plus fines. Elle est beaucoup plus contrôlable, en la taillant si on le souhaite. Mais ce n'est pas mon cas. Cependant, ‘Mission Dolorès’ pourrait être légèrement plus résistante au froid que ne l’était ma passiflore (elle pourrait supporter - 6 °C une fois établie). Comme toutes les Tacsonia, elle n'apprécie pas le fort soleil. Toutefois, certains témoignages font état d’une bonne résistance de sa part aux étés chauds. Elle résistera peut-être mieux au soleil du fait de son enchevêtrement (partiel) avec le feuillage de l’olivier. J'ai remarqué que la feuille de ‘Mission Dolorès’ (qui est celle de P. antioquensis) possède des lobes effilés. Le feuillage ne fournit pratiquement pas d’ombre. Celui de l'hybride de Passiflora manicata (à feuilles larges, plus dense) était plus beau. En ce qui concerne la fleur, j'ai noté deux différences mineures : le centre noir, caractéristique de la couronne de ‘Mission Dolorès’, qui n’existait pas sur ma passiflore, et un style nettement plus allongé (celui de P. antioquensis) pour 'Mission Dolorès'. Une différence majeure réside dans le pédoncule : le pédoncule de la fleur de Passiflora ‘Mission Dolorès’ est beaucoup plus long que ne l’était celui de l'hybride de Passiflora manicata. Je pense que cela va générer une perte de densité de la floraison par rapport à celle que présentait ma passiflore, dont la fleur avait un pédoncule assez court. Je n’ai pu trouver sur Internet qu’une photographie (partielle) d’un fruit de Passiflora ‘Mission Dolorès’. La forme et l’intérieur paraissent identiques à ceux du fruit de l'hybride de Passiflora manicata que j'avais planté. Mais, contrairement au fruit de celui-ci, rédhibitoirement acide, le fruit de Passiflora 'Mission Dolorès' satisfait pleinement à mon objectif de culture d'une passiflore fruitière : il est réputé agréable et sucré. En conclusion, selon moi, ma passiflore était globalement plus belle que ‘Mission Dolorès’ et cette dernière, de surcroît beaucoup moins vigoureuse, ne constituera vraisemblablement pas une association aussi spectaculaire avec mon olivier. Mais je pense que la fructification de Passiflora 'Mission Dolorès’ vaut véritablement la peine d’être testée. Toutefois, je me méfie d’une fructification éventuellement trop faible en l’absence de pollinisation manuelle. Selon certains témoignages, il faudrait polliniser manuellement ‘Mission Dolorès’ pour obtenir une abondante fructification, bien qu’elle soit réputée autofertile. Plus de dix ans ont passé depuis mon expérience d'association olivier / passiflore, mais ma passion des passiflores fruitières n'a pas faibli. Alors, nouvelle association olivier / passiflore avec Passiflora 'Mission Dolorès' ? Pourquoi pas...
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